mardi 5 mars 2013

Parsifal du MET samedi 2 mars

Acte III - J. Kaufmann, R. Pape, les chevaliers

ABSOLUMENT EXCEPTIONNEL !!

Ce samedi, le Metropolitan Opéra de New York retransmettait dans les salles de cinéma du monde entier le Parsifal le plus fantastique que j'aie vu au cours de ma longue vie d'opéramaniaque. Dans une mise en scène d'une clarté et d'un esthétisme achevé, les chanteurs de cette brillante distribution ont été, à niveau égal, très proches de la perfection et Daniele Gatti a su mener l'ensemble vers des niveaux d'où il fut très difficile de redescendre après ces quatre heures trente de musique sublime.

- A noter que l'on peut réécouter ce Parsifal qui était retransmis sur France Musique (mais là on ne peut pas réécouter), et sur la BBC3. Si vous êtes intéressé, suivez ce lien et cliquez sur le haut-parleur de la photo de la façade du MET. Si vous connaissez le synopsis ou ne comprenez pas l'anglais, passez les 10 premières minutes en avançant le curseur. C'est possible pendant encore 5 jours !

Parsifal a souvent été l'occasion, pour beaucoup de metteurs en scène, de s'approprier l'oeuvre pour y "fourrer" tous leurs tourments intellectuels, toutes leurs peurs viscérales et toute leur incohérence, jusqu'à nous faire avaler des inepties. Décoder Parsifal est une chose délicate et le décrypter dans le foisonnement des symboles nombreux n'est pas chose aisée.

Le canadien François Girard et son équipe ont su réaliser une mise en scène dont le dépouillement ne le cède en rien à la force dramatique qui doit rayonner dans cette oeuvre.
F. Girard entouré de J. Kaufmann et R. Pape
Acte I - 
Au premier acte, sur un terrain desséché jusqu'à la craquelure et partagé en deux parties par une mince rigole dans laquelle coule un filet parcimonieux d'une eau qui deviendra du sang à la fin de l'acte (celui de la blessure d'Amfortas), la confrérie des Chevaliers du Graal, en chemise blanche et pantalon gris, occupera la partie droite du ru qui circule de haut en bas, pendant que des femmes, voilées et vêtues de sombre, occupent l'autre partie. La faille partage donc un monde en perdition, sépare les communautés, la dégénérescence de la nature semble proche et, questions : Y aura-t-il une rémission ? Parviendront-ils à inverser ce courant ? et grâce à qui ?

Acte I - P. Mattei, R. Pape, les chevaliers
La souffrance de l'humanité, par le filtre de celle d'Amfortas dont la blessure saigne et dont rien ne soulage la douleur, la nécessité dans laquelle sont les chevaliers de communier par le Sang du Saint-Graal pour survivre, l'espérance et la désolation de Gurnemanz qui croit avoir reconnu dans ce jeune homme naïf, qui ne sait même pas comment il s'appelle, l'innocence qui guérira le monde, la curiosité, l'étonnement, la compassion puis l'indifférence de ce dernier qui assiste à la scène, tout cela baigne dans une atmosphère à la fois tendue, désespérée mais ardente que soulignent les éclairages en clair-obscur et les vidéos projetées en fond de scène. Les mouvements, presque chorégraphiques, des chevaliers assis en deux cercles concentriques suivent la musique, de même que les vidéos de nuages, les ciels d'orage et de tempête. Rien, jamais, n'est laissé au vide mais, contrairement à maintes productions agitées (en particulier celle de Bayreuth), ce qui habite l'espace ne gesticule pas, cela défile en fond (vidéos), se balance en rythme (mouvements des mains des chevaliers), s'illumine ou s'éteint (lumières), se vit (chanteurs magistralement dirigés) et nous invite à la réflexion tout en nous touchant profondément.
Acte II - J. Kaufmann
Acte II - E. Nikitin

Au second acte, la faille terrestre, sorte de crevasse entre deux rochers, est baignée à sa base dans un plan de sang où Klingsor déverse sa hargne et jette ses maléfices, tableau terrifiant compensé par des "filles" non pas "fleurs" mais plutôt danseuses de lieux de perdition. Tandis que leurs robes se tacheront de sang au fur et à mesure de leur évolution, elles apporteront le lit immaculé sur lequel Kundry, plus insidieuse que séductrice, devra conquérir la pureté de Parsifal sur ordre de Kingsor.
Acte II - J. Kaufmann, les Filles-Fleurs
Et comme rien n'est laissé au hasard, le jeune homme dont les filles ont dévêtu le torse, renfilera frileusement sa vareuse comme pressentant quelque maléfice. Le baiser de Kundry aura lieu dans un bain de sang (celui d'Amfortas, celui du Graal, celui de l'humanité souffrante, celui des femmes) tandis que la faille rougeoie jusqu'à ce que Parsifal ait subtilisé la lance sacrée et la brandisse en se retirant dans une clarté plus sereine et apaisante.


Acte II - J. Kaufmann, K. Dalayman

Acte III - J. Kaufmann, R. Pape
Lorsque montent les accords du début du III, le terrain n'est plus que désolation, aridité. Le sol semble gelé et aucune eau ne coule plus dans la rigole. Des emplacements de tombes fraîches et une tombe creusée nous indiquent le dépérissement des chevaliers. Gurnemanz parait accablé et fatigué. Lorsqu'arrive Parsifal, il ne reconnaît pas le jeune naïf dont il avait espéré le salut. Ce dernier présente un visage hâve, il est épuisé et sa chevelure a blanchi. Sans grands effets, l'un et l'autre narrent le déroulement de toutes ces années jusqu'à ce que monte la sublime musique de "l'Enchantement du Vendredi-Saint".
Acte III - J. Kaufmann, R. Pape
Arriveront alors les chevaliers, dépenaillés et sales, et les femmes, mêlées à eux. La vie d'Amfortas semble ne plus tenir qu'à un fil, sa souffrance intolérable le propulsera dans la tombe où l'on vient de déposer Titurel et où il appelle la mort de tous ses voeux. C'est alors que Parsifal tremple la lance dans le calice du Graal que Kundry vient d'apporter et touche la blessure du pécheur. 
Le ciel se colore, une vigueur nouvelle parcourt chacun et, après quatre heures trente de musique, hommes et femmes réunis, la paix et l'espérance renaissent. 

Acte III - R. Pape, J. Kaufmann, K. Dalayman
Le rééquilibrage et l'élargissement spirituel à la conception bouddhiste que propose François Girard ajoutent une force et une symbolique nouvelle à l'oeuvre sans nous imposer une quelconque pensée propre mais plutôt une ouverture plus large où chacun puisera ce qui lui convient le mieux.




Acte III - P. Mattei
Acte III 

Les choeurs du MET ont, pour l'occasion, beaucoup progressé et nous ont gratifiés d'une excellente prestation. 
Si, pour cette partition si exigeante, j'ai globalement été enchantée par l'orchestre du MET, j'émets cependant quelques réserves quant à la direction particulièrement lente, pesante même, de Daniele Gatti au I et au III. Mais j'ai pu noter également de belles sonorités et des solos (hautbois,cor...) d'une grande qualité, de même que la belle sonorité des cordes. 

Au niveau de la distribution, l'excellence de ce plateau de grands noms n'a pas déçu.

Acte II - E. Nikitin
  • Evgeny Nikitin est impressionnant de noirceur, dans son jeu et dans son timbre. Très belle prestation.




    Acte I - P. Mattei
  • Peter Mattei (notre Don Juan de Londres l'an passé), magnifiquement dirigé scéniquement, nous atteindra tant sa douleur force l'empathie. Son chant est empreint d'une vibrante chaleur et la ligne est sûre et vaillante.




Acte I - K. Dalayman
  • Katarina Dalayman déploie un chant d'une grande qualité, sans incertitude et convainc grâce à une parfaite maîtrise de son amplitude, son timbre et un très beau legato.







Acte I - R. Pape
  • René Pape est le plus brillant Gurnemanz que j'aie entendu. Malgré le tempo particulièrement lent imposé par Gatti, il dose avec science l'articulation du récit et chante avec une grande aisance les longues phrases lyriques, rendues interminables par le tempo. Chaque mesure est aboutie, charnue, habitée, tantôt piano, tantôt forte, toujours sans faille. C'est aussi le Gurnemanz le plus humain, le plus émouvant, aux accents les plus poignants jamais entendu dans ce rôle.
Acte II - J. Kaufmann, les Filles-Fleurs
  • Jonas Kaufmann est Parsifal, tant vocalement que scéniquement. Le chant est posé, large et ample, le timbre m'a paru moins sombre qu'à l'ordinaire, les aigus sont rayonnants et tout son art exprime le personnage. Scéniquement il est parfait, chaque geste, chaque expression est chargée d'émotion. La douleur d'Amfortas qui le frappe au baiser de Kundry nous ramène à la désespérance fatale et le regard qu'il échange au III avec la même Kundry est surprenant de douceur.
Acte III - J. Kaufmann

A noter que la réalisation cinématographique de Barbara Willis Sweete a énormément bonifié notre vision avec des plans moins saccadés, des choix plus recherchés de cadrages, moins de gros plans, un meilleur équilibre entre plans larges et détails, tout cela a contribué à l'émotion ressentie.

Un plateau en tous points fantastique pour cette soirée de retransmission filmée qui nous a laissées dans un état second pendant longtemps après.


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