jeudi 25 février 2016

Le "blues" des Victoires

Quatuor Ellipse
Après une belle séance d'enregistrement, ce lundi, de la prochaine émission des Plaisirs du Quatuor en compagnie de Stéphane Goldet, au cours de laquelle le Quatuor Ellipse nous a régalés avec le Quatuor en fa majeur K 590 de W.A. Mozart, une belle interprétation du Quatuor à cordes en sol mineur Op. 10 de Claude Debussy (1862-1918) ainsi que de la découverte (pour ma part) d'un quatuor inachevé du très jeune (17 ans) Guillaume Lekeu (1870-1894),


Halle aux Grains - Toulouse



je m'installai confortablement hier soir devant mon petit écran pour suivre la cérémonie de remise des Victoires de la Musique Classique 2016, en direct de la Halle aux Grains de Toulouse.



Bien que n'étant pas fan de ce type de soirées, mon attachement à la musique et à ce qui fait son actualité m'impose cet exercice. Étant donné le peu de fois dans une année où les chaînes généralistes françaises nous proposent ce type de programme, je tiens à enrichir de mon assiduité le résultat de l'audimat.


En éteignant mon téléviseur au terme de la retransmission, un curieux mélange de sentiments plus ou moins négatifs (plutôt + que -) m'amenait à une réflexion approfondie sur ce rituel. Le talent des musiciens et chanteurs n'est absolument pas à mettre en cause, chacun ayant défendu - et j'emploie ce terme à dessein - comme il a pu son "passage" compte tenu du climat ambiant et des contraintes de la soirée.

Chaque artiste a donné le meilleur de lui-même et si ce meilleur n'était pas au rendez-vous, la faute est à chercher ailleurs.

Et cet ailleurs, je le situe dans l'organisation ringarde, empesée et tristounette de ce qui devrait être une véritable fête. S'il suffisait pour réussir ce type de retransmission, d'aligner des talents dans n'importe quel ordre, de confier la présentation à deux personnalités "vedette" même pas capables de mémoriser leur texte, à défaut de le comprendre (!) et de multiplier les moulinets de caméras (au risque de nous donner le mal de mer), le tout habillé de lumières multicolores et de scintillements compulsifs, le pari aurait été gagné !

Las ! A vouloir à la fois séduire un public plus large et moins averti et préserver l'intérêt des mélomanes plus éclairés, on prend le risque de ne satisfaire personne.

Il va donc falloir trancher, ce qui ne serait pas satisfaisant, ou bien réinventer la formule. Et d'abord, arrêter de penser que Monsieur Lodéon va "éduquer" son auditoire en une soirée, à grand renfort d'anecdotes simplistes et maintes fois rabâchées. Ce rôle doit revenir à l'Education Nationale car c'est bien dans les écoles que ce "savoir" doit être enseigné aux enfants afin de leur faire toucher du cœur la sensibilité qui leur ouvrira les porte de connaissances, non pas livresques mais riches en apport d'émotions et de vibrations variées. Et puis, Madame Chazal, il ne suffit pas d'inviter le téléspectateur à participer via Tweeter pour captiver et capter un auditoire plus varié. La technologie ne comble pas le vide culturel.

Ensuite, il est primordial de confier la réalisation du concept à une personne qui sait de quoi elle parle, qui possède une belle expérience des plateaux télé et qui soit musicalement compétente et donc crédible. Une personne qui penserait la soirée autour d'un véritable projet. Quelqu'un comme Jean-François Zygel par exemple... qui ne tomberait pas dans la vulgarisation à n'importe quel prix, mais partagerait son savoir avec intelligence et bonne humeur.

Car la gaieté, la joie de faire de la musique, de chanter, le bonheur de la partager qui est ce que nos artistes ont tous en commun, ont cruellement manqué hier soir. De plus, quelques grossières erreurs ont été commises :
- programmer la jeune Lucienne Renaudin-Vary en ouverture quand on sait quel instrument ingrat est la trompette ! On confie le premier passage à un talent confirmé, pas à une musicienne de 17 ans qui, morte de trac a saboté sa prestation. Heureusement, nous on sait qu'elle vaut mieux que ces quelques minutes d'enfer pour elle, sa Victoire de Révélation Instrumentiste le prouve. Il n'en demeure pas moins que c'est une faute majeure des organisateurs
- autre erreur et non des moindres : évoquer la disparition de Pierre Boulez en trois mots et deux photos !ou on en parle - et le développement vaut mieux que ça, avec extraits filmés - ou bien on n'en parle pas. Là, c'était affligeant !
- et puis, on évite (mais pour ça, faut préparer un minimum) d'écorcher le nom des participants ou des compositeurs que l'on cite ! Sinon, c'est l'incompétence affirmée.

Il faut ajouter à tout ça une prise de son déplorable alors que les musiciens-metteurs-en-ondes de France Télévision et de France Musique sont réputés pour leur professionnalisme. Décidément, ce n'était pas le bon soir...

On comprend, avec tout ça, que la jeune Elsa Dreizig (Victoire Révélation Lyrique) ait eu envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière, même si son intervention intempestive n'avait pas lieu d'être à ce moment-là et soit demeuré quelque peu hermétique.

A noter, tout de même et pour terminer sur une note positive, quelques moments d'émotion grâce à Bertrand Chamayou avec F. Liszt, à Jérôme Pernoo avec une oeuvre de Connesson, à Adam Laloum avec Mozart et à Karine Deshayes, très en forme, avec l'air de La Reine de Saba de Gounod.

Philippe Hersant
Allez ! Ça y est, j'ai craché mon venin... Ce sera mieux l'an prochain !
Fin du palmarès :
Philippe Jordan

                   Compositeur : Philippe Hersant
                     
Enregistrement : Philippe Jordan et l'Orchestre de l'Opéra National de Paris
                       


                             
                   

Karine Deshayes
Bertrand Chamayou
                                      Artiste lyrique : Karine Deshayes
                       



 Soliste instrumentiste : Bertrand Chamayou







Honneur : Menahem Pressler

mardi 16 février 2016

Dutilleux, Korngold, Quatuor Arod, Il Trovatore

Vous avez maintenant l'habitude du regroupement en un seul article de mes impressions sur divers concerts rapprochés.

Le temps - vous savez, cet insaisissable décompte qu'égraine le sablier... - me parait accélérer sa fuite en cet automne de ma vie de spectatrice. Toujours est-il qu'il ne m'en reste jamais assez pour venir vous parler de mes émotions musicales. Non qu'elles se soient raréfiées, ni atténuées, fort heureusement car elles sont la part essentielle et indispensable à ma santé, l'exigence salutaire à mon bon équilibre.

Centenaire Henri Dutilleux - 21 janvier 2016 - Auditorium de Radio France


Concert hommage au compositeur disparu il y a presque 3 ans déjà. Ses liens avec la radio pour laquelle il a composé nombre de pièces et qui, en retour, a créé certaines des oeuvres du Maître (de la 1ère Symphonie (1951) jusqu'à Le Temps l'Horloge (2009) en passant par beaucoup d'autres)

Cette soirée anniversaire nous proposait :
- Les citations (1985 et 1991 - hautbois, clavecin, contrebasse et percussions)
   Deux courtes dédicaces aux couleurs chatoyantes, rythmées par les pizz de la contrebasse et les sons de la
   percussion.
- Métaboles (1964)
   Commande de George Szell pour l'Orchestre de Cleveland. Henri Dutilleux considérait cette oeuvre  
   comme "un concerto pour orchestre". Les cinq parties qui s'enchaînent exploitent, tour à tour, chaque
   famille d'instruments : bois, cordes, percussions, cuivres et l'ensemble en conclusion.
   Orchestration volumineuse qui produit des sonorités variées dont l'éclatant finale.
Maroussia Gentet
- Après l'entracte, la jeune et jolie pianiste Maroussia Gentet nous livrait une      interprétation tout en délicatesse des "Préludes pour piano" (1973, 1977 et     1988). Trois œuvres douces et légères, fluides ou  immobiles, suspendues         par les sonorités impalpables que le compositeur a fait naître.
- Et pour finir, la symphonie n°2 "Le Double" (1958-1959)
   Avec des effets d'écho, des coupures de rythmes et des tonalités variées,         cette symphonie est éclatante et son expression solaire.

Belle soirée de musique contemporaine dans l'Auditorium de Radio France.



Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)

Toujours à la Maison de la Radio, mais au Studio 104 cette fois, malheureusement bien peu rempli, le baryton Christian Immler accompagné au piano par Danny Driver, nous proposait une soirée de lieder autour de E.W. Korngold.
Christian Immler
Danny Driver

De Mozart à Zemlinsky en passant par Mahler et Schoënberg, le baryton allemand est un interprète reconnu de lieder. Il nous a régalés, ce soir-là, d'un éventail particulièrement large et bien choisi d'oeuvres aussi riches que quatre extraits du Knaben Wunderhorn de G. Mahler, du Turmwächterlied und andere Gesänge de Alexander von Zemlinsky et, aussi, d'agréables morceaux comme les Songs of the clown et les Abschiedslieder de Korngold, le tout après Eine Kleine deutsche Kantate de W.A. Mozart.

Superbement accompagné par Danny Driver, la voix souple et ronde de Christian Immler s'est déployée avec style et justesse, beaucoup de présence et une grande sensibilité.

Plaisirs du Quatuor avec le Quatuor Arod - Enregistrement de l'émission de Stéphane Goldet

Et nous voici dans le Studio 106 pour entendre deux œuvres qui sont l'objet de l'émission diffusée le dimanche 10 février sur France Musique. Les invités étaient les jeunes membres du Quatuor Arod, quatre très jeunes hommes particulièrement talentueux.
Quatuor Arod
Ces musiciens nous ont d'abord offert une superbe version du Quatuor en sol Majeur, K.387 de Mozart, dédié à Joseph Haydn que Mozart compose en un jour (!) le 31 décembre 1782.

Mais c'est surtout La Jeune Fille et la Mort, le quatuor de Franz Schubert que j'attendais. Stéphane Goldet nous met en condition par ses explications passionnantes et passionnées. Et là, la passion va transcender la formidable interprétation que les musiciens vont nous donner de cette musique. Le nombreux public du Studio 106 retenait son souffle et décrire l'émotion qui fut la nôtre ce soir du 1er février est indicible. Je vous engage plutôt à écouter l'émission sur le site de France Musique en suivant ce lien. Vous verrez, c'est extraordinaire !

Il Trovatore de Giuseppe Verdi - 11 février 2016 à l'Opéra Bastille

Ah ! Je l'attendais cette soirée de mon abonnement ONP pour lequel j'avais pris soin de choisir une date où LA Netrebko se produisait. De plus, cette représentation étant retransmise en direct au cinéma, je me croyais tranquille... Et patatras ! Voilà que la belle Anna, malade, ne chante pas ! J'en voulais à la terre entière tant ma frustration était grande.

Je passai néanmoins les contrôles sécurité de l'entrée et me retrouvai dans la salle où pas un siège n'était libre.

Je passe sur la mise en scène dépouillée de Alex Ollé aux décors (Alfons Flores) et costumes (Lluc Castells) aussi ternes que le ciel parisien en cette soirée. Seul avantage, pas de gesticulation bruyante si ce n'est le pas des soldats de 14-18 casqués et bottés de lourd.

Je glisse également sur la direction d'orchestre appliquée et sonore mais sans réel souffle de Daniele Callegari.

Excellente prestation du Choeur de l'Opéra de Paris dont on a pris, maintenant, l'habitude au risque de la trouver normale.

Je tiens à souligner la très belle performance des chanteurs dans leur ensemble, qui ont honoré cette représentation de tout leur talent. C'est important avant que vous lisiez la suite.

Hui He

A commencer par la soprano chinoise Hui He qui, bien que distribuée pour les représentations après le 15 février, a eu à convaincre de la qualité de sa voix, les spectateurs (dont moi) venus entendre Anna Netrebko. Le timbre est chaud, la voix puissante dans le médium, les piani aériens. Là s'arrêtent les qualités. La prononciation est nulle et la voix trop courte escamote les aigus. Je rageais à nouveau quand j'imaginais la Diva à sa place et le moment de grâce absolue que j'aurais vécu...



Roberto Tagliavini


Mention toute particulière à la basse italienne Roberto Tagliavini. Belle couleur, legato, agilité et style. Il
est jeune, la voix devrait prendre de l'ampleur encore. Cela augure de belles prestations à venir puisqu'on le retrouve dans plusieurs distributions de la saison prochaine.





Marcello Alvarez



Marcello Alvarez a été fidèle à lui-même. Puissant, sonore, impliqué. Le timbre du ténor argentin est beau, le legato très stable. Il manque malheureusement un peu de souffle quand le tempo s'accélère et de technique pour atteindre des aigus plus sûrs. Une belle prestation d'ensemble cependant.




Et j'en viens aux deux super talents de la soirée : Ekaterina Somenchuk, mezzo russe et notre baryton national, Ludovic Tézier.
Ekaterina Somenchuk
Ils ont été les pourvoyeurs de l'émotion que j'étais venue chercher. Et je ne peux que regretter, encore une fois... mais non, là j'arrête ! Tous deux, dans chacune de leurs interventions, qu'elle soit lente avec un legato fabuleux ou rapide avec toute l'agilité voulue, ont été magnifiques. Le timbre rond et cuivré de Ludovic Tézier, l'ampleur et la sûreté des aigus. La voix riche et ample de Ekaterina Somenchuk, sa force et son tempérament, ses aigus magnifiques et ses graves profonds jamais poitrinés, le style et l'engagement...

Ludovic Tézier
De très grands moments lyriques grâce à eux deux et grâce à la musique de Verdi dont cet opéra foisonnant d'airs, d'ensembles, de chœurs..., m’enthousiasme toujours beaucoup.

J'attends maintenant Anna Netrebko dans Iolanta à Garnier, très bientôt... A suivre...