dimanche 18 décembre 2022

La force du talent...


Dès le hall d'entrée où s'engouffrait un air glacé comme venu des steppes, régnait - bien avant de pouvoir accéder à la salle - l'ambiance électrique des grandes soirées lyriques. Une effervescence palpable par les amateurs de longue date comme moi...

Son nom courrait sur toutes les lèvres. Chantera ? Ne chantera pas ?... les plus sombres rumeurs circulaient : "puisqu'elle n'avait pas chanté lors de la Première, elle n'allait pas chanter les suivantes !". On conservait, tout de même secrètement, un petit espoir.

Jusqu'à l'entrée du Chef d'Orchestre dans la fosse, je m'attendais à voir "se pointer" discrètement, à l'avant-scène, l'homme au micro, messager des mauvaises nouvelles. Mais le rideau s'est finalement levé et elle était là, bien présente, quelque peu amincie m'a-t-il semblé. Je doutais encore de cette chance insolente lorsqu'elle a lâché les premières notes. Et là, je me suis calée dans mon fauteuil avec un grand soupir d'aise... "Comme ça de qui je parle ? mais d'Anna Netrebko bien sûr !"

C'était à Bastille jeudi soir pour une représentation de
La force du destin de G. Verdi.

Tout au long des 120 minutes de la première partie et des 40 minutes de la troisième, j'ai remercié le destin de me permettre de savourer le moelleux de ce timbre, de déguster l'ampleur de cette voix, de m'émerveiller des magnifiques "decrescendos" absolument fabuleux, de me régaler des extraordinaires "pianissimos" de m'extasier des aigus si purs, si ronds... Chaque note du moindre récitatif est en place, la couleur ne se ternit jamais, vibrante du grave à l'aigu, du forte au son filé. Si la perfection existe, Anna Netrebko nous l'a démontrée en interprétant une Léonora incroyablement sublime ! Lorsque l'on a, comme moi - ô bien faiblement - tenté pendant longtemps d'émettre un son correct, on mesure la somme de travail qu'il faut, même si le don était là au départ, pour nous offrir un tel bonheur.

Il est indéniable qu'elle a dominé de son talent le reste du plateau, pourtant superbement pourvu.

Notamment :

  • le Don Carlo di Vargas de notre Ludovic Tézier avec son timbre toujours riche, sa belle ligne de chant et tout le talent qu'on lui connait.
  • Russell Thomas, ténor américain, a connu quelques difficultés pour imposer ses qualités, tant vocales que scéniques. Il m'a semblé qu'il passait, trop souvent, en force les moments critiques de la partition.
  • Elena Maximova, mezzo russe, a interprété avec toute la truculence souhaitée le rôle de Prezosilla. Sa voix, sans faiblesse, est dotée d'un timbre acide pas très agréable à mon oreille. Dommage...
  • À noter la très bonne prestation de Nicola Alalmo en Fra Melitone. Belle voix et excellente présence scénique.
  • Ferruccio Furlanetto nous a semblé bien fatigué dans ce rôle du Padre Guardiano...
  • Les forces du Choeur ont été impressionnantes, comme toujours.
  • Quelques décalages plateau/fosse sous la baguette de Jader Bignamini, jeune chef italien. Une direction sans grand relief, même dans la célèbre ouverture. Il m'a semblé également que l'orchestre avait déjà perdu l'excellence que lui avait laissé Jordan à son départ.
Une soirée qui prend place primordiale dans ma mémoire lyrique. J'ai goûté pleinement ce privilège d'entendre une des plus grandes soprano du moment - sinon la plus grande -, la meilleure selon moi actuellement. J'ai eu le bonheur, tout au long de ma longue carrière de lyricomane, d'en entendre certaines. Je n'ai pas le souvenir - mais peut-être s'est-il effacé - d'un tel moment de grâce.