dimanche 19 août 2012

Mon Bayreuth 2012 - 2 Les Mises en Scènes

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Les Mises en Scène

Pour ne pas vous accabler de ma colère à chaque spectacle, je vais, brièvement, traiter des mises en scènes de façon globale, mon écoute ayant été perturbée lors des trois représentations.

Du Lohengrin avec ses rats au Parsifal à trois lectures en passant par l'usine de retraitement des déchets de Tannhäuser, il n'y eut pas une seule soirée épargnée.


Le pire est atteint dans le Tannhäuser (Sebastian Baumgarten) avec son décor unique bariolé, suréclairé et surcolorié, aux costumes vulgairement criards et où, finalement, rien dans l'esprit ne nous ramène, à quelque moment que ce soit, à ne serait-ce que frôler la quintessence de l'oeuvre.

J'ai assisté à la quasi totalité de la représentation les yeux fermés, d'autant plus que la scène ne bénéficie d'aucun moment de calme, n'est jamais sans mouvement et que ces déplacement incessants nuisent à la concentration. Si Wagner - qui a lui même écrit ses livrets - a laissé des "blancs", il me semble que c'est pour que le spectateur profite au mieux de son génie musical... ?

Dans Lohengrin (Hans Neuenfels), une fois passée la première répulsion pour les rats et décroché à la diffusion des vidéos tentant de nous expliquer la mutation de l'espèce "rongeurs", on s'habitue à la présence très ordonnée des bestioles, l'ensemble n'étant pas totalement dénué d'esthétique. Heureusement, le plateau de chanteurs était d'un tel niveau ce soir-là que j'aie pu ne retenir que des sonorités magnifiques malgré, là également, beaucoup trop de remue-ménage.

Mon avis sur le Parsifal est très mitigé. Il est fort dommage que Stéfan Herheim ait à ce point surchargé de débris ses trois idées (c'était déjà deux de trop !) principales : l'Histoire allemande de l'avant-première guerre mondiale à l'après-seconde, le wagnérisme parallèle et la relation mère-fils avec ses douleurs partagées, outrageusement, reléguant celles d'Amfortas en arrière plan fadasse.

Quant à la fausse-bonne-idée de l'Enfant-Parsifal en costume marin et ballerines vernies lorsque l'interprète mesure 1,90 m, pèse 110 Kg et galope sur scène les mollets poilus de coureur à l'air, c'est ridicule et malséant.
Pourquoi, également, les metteurs en scène tentent-ils de nous convaincre de leur savoir en dénichant dans le texte LA phrase que personne n'a remarquée et en l'illustrant à la puissance 10, comme au second acte "les infirmières soulageront les blessés" en faisant chevaucher les soldats par les nurses de la plus vulgaire façon ? En même temps que les "Filles-Fleurs" arrangées en "putes" (était-il besoin de le préciser ?) s'occupent activement de déniaiser Parsifal...

Sans rien apporter d'intéressant ni de très novateur, cette vulgarité épaisse accentue la fracture (volontairement ?) avec les harmonies wagnériennes.

Heureusement, le lever de rideau sur les ruines fumantes d'une ville bombardée nous replace dans le contexte musical et l'assemblée des "Administrants" réinstallés dans leur certitude par le geste cicatrisant du "Pur" rend la sérénité à chacun.

Etait-il besoin d'un calice rose fluo au second acte et d'une pointe de lance pareillement éclairée au III ? Cela relevait, à mon avis, de la bande dessinée ; mais après-tout... est-il question d'autre chose dans les mises en scènes contemporaines de certains ?

Mon Bayreuth 2012 - 1 Le Festspielhaus

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Le courrier annonçant notre admission pour cette saison 2012 dans le Temple de la "Verte Colline" nous prit par surprise. La récompense de six années de patiente assiduité dans le renouvellement de la demande nous prenait de court et un temps d'intégration à l'idée nous fut nécessaire avant que nous retournions le chèque de réservation.
Les formalités annexes (voyage, logement) rapidement menées, il ne nous resta plus qu'à attendre le sept août, jour du départ.

Le huit août au matin, jour de notre premier spectacle (Lohengrin), nous allions repérer les lieux...


Le Festspielhaus
- Historique :
   Après avoir souhaité SON Festival à Munich, Richard Wagner se décide pour cette localité de Franconnie, Bayreuth, dont il pense que l'opéra existant, construit au XVIIIème par la margravine "Wilhelmine", peut l'accueillir. Mais les dimensions et le style très roccoco ne convenant pas à l'oeuvre wagnérienne, le compositeur décide la construction d'un Palais des Festivals sur une colline au nord de la ville. Louis II de Bavière finance le projet et Wagner décide d'adapter un projet avorté de l'architecte Gottfried Semper, sans d'ailleurs lui demander son consentement...

Le 22 mai 1872, la première pierre est posée sur "La Colline Sacrée" comme la nommeront les wagnerophiles français. Wagner fait construire, parallèlement, la "Villa Wahnfried" pour loger avec sa famille.

Du 13 au 17 août 1876, a lieu l'exécution complète de la tétralogie "L'Anneau du Nibelung" (les deux derniers opéras étant donnés en création mondiale). Le Ring et Parsifal (1882) furent composés pour le Festspielhaus. Les cinq autres opéras de la maturité (Lohengrin, Le Vaisseau Fantôme, Tannhaüser, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg et Tristan et Isolde) furent créés antérieurement dans des théâtres traditionnels.

- Le bâtiment :
   L'extrême simplicité du bâtiment s'explique par l'espoir d'une construction postérieure plus aboutie, projet qui n'a jamais vu le jour.

D'une grande sobriété - presque rustique - le bâtiment en briques et en bois surprend par son aspect quelque peu austère. Là où l'on imaginait de l'élégance, l'ensemble, un peu massif, est cependant équilibré. Le portique en haut duquel la "Fanfare" de l'orchestre sonne les fins d'entractes fut ajouté ultérieurement. Dans le parc environnant on trouve bars et restaurants où le public reprend des forces entre les actes ainsi qu'une boutique et la succursale de La Poste Allemande où vos cartes reçoivent le tampon spécial du Festival... !

La grande majorité des festivaliers est en tenue de soirée (robe longue et smoking).

- La Salle :
   La majeure partie des places (moins de deux mille) est répartie en amphithéâtre imitant les théâtres antiques. En arrière, quelques places en loges et un balcon. La pente et les strapontins irrégulièrement alignés permettent une vision assez correcte de la scène.
Les sièges en bois, sans accoudoir, sont assez inconfortables malgré leur mince capiton de tissu. Le festivalier averti vient muni de son coussin afin de profiter au mieux de la musique.


Le public pénètre dans la salle par des portes sur les côtés qui desservent quatre ou cinq demies-rangées. Il est donc recommandé, si la place attribuée est centrale, de ne pas attendre la dernière note de la dernière sonnerie pour regagner son siège car tout le monde attend debout, vu l'espace réduit entre les rangées, que la rangée soit pleine pour s'asseoir.

Le décor - ou plutôt l'absence de décor - de la salle est dépouillé et assez tristounet dans ses tons de beige délavé que quelques guirlandes fleuries tentent d'égayer. Six cloisons s'avancent entre chaque porte et supportent les éclairages. Elles ont une importance dans le confort acoustique du lieu. Et, puisqu'on en parle...

- L'acoustique :
   C'est la marque du Festspielhaus et c'est l'élément qui m'a le plus impressionnée malgré l'idée que j'en avais pour en avoir beaucoup entendu parler.

De multiples raisons à cela :
  • les matériaux utilisés dans la construction du théâtre, principalement la brique et le bois
  • les dimensions réduites et équilibrées de l'ensemble
  • l'enfouissement de la fosse d'orchestre sous la scène et sous une planche, ne laissant voir aux chanteurs que le Chef
  • le "passage" des voix vers la salle, même venues du fond de la scène grâce à la structure qui réverbère et mixe le tout (orchestre et voix) pour le rendre homogène.
Le son est parfaitement équilibré, jamais saturé, et s'harmonise merveilleusement pour atteindre nos oreilles, même dans les passages les plus pianissimo. Je n'ai, à ce jour, jamais entendu mieux ni même aussi bien, dans aucune autre salle d'opéra ou de concert.

Je me demande alors pourquoi ce modèle, d'une grande simplicité, n'a-t-il pas été appliqué dans les salles de concert ou d'opéra modernes ?

Pourquoi continuer de construire des salles immenses, en béton armé, plastique et tissu où le son va se perdre dans des hauteurs vertigineuses et ne nous parvient qu'appauvri et dénaturé ?

Indépendemment d'une trop grande fréquence des rôles successifs, pourquoi les voix de nos chanteurs actuels sont-elles si fragiles si ce n'est de chanter dans des lieux inappropriés aux dimensions extravagantes ? On a l'impression qu'ils n'ont pas "de coffre" malgré une meilleure technique ; alors d'où vient cette sensation d'une moindre ampleur sinon qu'il leur faut :
  1. passer une fosse parfois immense (Bastille, Vienne...)
  2. emplir un espace démesuré pour atteindre les oreilles des spectateurs du dernier rang du dernier balcon ?
Dans le Festspielhaus, le son circule et est canalisé par les parois, le plafond et les cloisons des côté, en bois, dans un espace à taille humaine, sans lourds drapés de velours, sans loge où il ne parvient pas... ; les hommes de l'antiquité avaient trouvé le principe, Wagner (et surtout G. Semper) l'a appliqué au théâtre fermé pour notre plus grand bonheur ! Appliquons-le encore et on oubliera les sonorisations nécessaires à présent dans une grande partie des salles lyriques !


Mon Bayreuth 2012 - 3 Impressions Musicales

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Impressions musicales

Lohengrin 

Le 8 août, je goûtai pour la première fois à la magie du lieu. Et je fus, musicalement, gâtée. Sous la baguette enlevée et énergique d'Andris Nelsons, l'Orchestre et les Choeurs me portèrent au-delà même de mes espérances. Je vous épargne les superlatifs mais c'était Grandiose !

La distribution, d'une belle homogénéité et d'un haut niveau de talent, m'a permis de savourer chaque mesure de cette oeuvre.

Samuel Youn est un Hérault au timbre sombre et à la voix ample.
L'Ortrud de Susan Maclean ravit par son engagement, son timbre velouté, quelques aigus un peu tendus pondèrent la première très bonne impression mais l'ensemble est très beau.

Le baryton Thomas J. Mayer est un excellent Friedrich von Telramun au style impeccable ; lui aussi très concerné, la tessiture lui convient parfaitement et la clouleur du timbre est belle.

Wilhelm Schwinghammer est le plus effacé de la distribution sans toutefois démériter dans le rôle du roi Heinrich. Le timbre n'est pas d'une grande qualité mais l'ensemble est solidement interprété, avec style.

Annette Dasch est une Elsa toute de doutes et de fragilité. Aucune faille dans le chant,les aigus sont limpides, le timbre aérien et le style parfait.

Klaus Florian Vogt est, après Jonas Kaufmann et avec des qualités très différentes, voire opposées, le ténor qui m'a le plus impressionnée ces dernières années. J'ai été frappée par l'excellence de son placement de voix que ce soit dans ses parties piano ou dans les longues phrases forte. Aucune faille, pas de détimbrage, une projection idéale. Dans cet espace où chaque note nous parvient avec une grande netteté, la pureté de cette voix est saisissante. Probablement due à la sonorité argentée de son timbre, cette impression convient parfaitement au personnage de Lohengrin. J'ai écouté à la suite sur Youtube l'air final "in fernem Land" par les deux ténors et le ressenti est très éloigné d'une voix à l'autre sans que je puisse trancher sur ma préférence entre l'argent et le bronze des deux timbres. Les qualités de chant et de style sont identiques mais rien n'est pareil.

Scéniquement, K.F. Vogt est l'exacte représentation du "Fils de Parsifal".

L'ovation du public - la plus enthousiaste et la plus démonstrative - à l'issue de la représentation a salué bruyamment (avec claquements de pieds) ce Lohengrin.

Tannhäuser 

Il fallait tout le talent des choristes, musiciens et solistes, dans la magnifique sonorité du lieu, pour oublier le hideux décor de cet opéra.

Sous la baguette de Christian Thielemann, l'orchestre délivre de belles sonorités et le rythme est, globalement, allant avec de belles couleurs et lyrisme. Le choeur toujours magistral.
Torsten Kerl est un Tannhäuser assez terne. Le timbre est quelconque et l'aigu peu sûr, tout en force. Une pâleur que l'on retrouve scéniquement.
La Vénus de Michelle Breedt peine également dans l'aigu mais le timbre est intéressant.
Camilla Nylund possède un très joli timbre, une voix aérienne, pas très volumineuse mais très bien placée. Son Elisabeth est particulièrement émouvante.
Michael Nagy

Quoique secondaires, les rôles de Hermann par Günther Groissböck, Walther par Lothar Odinius et, acclamé par le public, Michael Nagy dans Wolfram sont à mentionner particulièrement par leur talent. Nagy possède un beau timbre de baryton, sombre, une voix ample au style parfait, beaucoup de présence.

Une distribution homogène d'un bon niveau mais dont je ne me souviendrai que par rapport au lieu.


Parsifal 

Ceux d'entre-vous qui ont eu le loisir et le courage de résister aux outrances scéniques, probablement augmentées par les plans rapprochés de la caméra, ont pu profiter de ce "Parsifal" retransmis en léger différé sur Arte.
Une très belle distribution où, là encore, le rôle titre ne se taille pas la meilleur part, tout en demeurant plus présent vocalement que T. Kerl dans Tannhäuser.
Moins aride et rocailleux aussi, Burkhard Fritz semble peiner dans on duo avec Kundry à la fin du second acte. Au III, il offre cependant un monologue puissant.

Moins à l'aise que dans Ortrud, Susan Maclean a une légère tendance à "tuber" certains graves et connait quelques déboires avec ses aigus. Le velours du timbre en souffre malheureusement et l'ensemble est assez inégal.

Scéniquement très émouvant malgré les "trucs" environnants de la mise en scène, Detlef Roth est un Amfortas solide. Le timbre est ample, la voix large.

Thomas Jesatko a fière allure dans son costume de "Marlène" plus ange noir qu'"Ange-Bleu" ; il fallait bien sa silhouette longiligne et ses très belles et longues jambes pour n'être pas ridicule en bas noirs et porte-jarretelle dans le rôle de Klingsor ! Vocalement également il est très crédible. Pas d'énormes moyens mais une parfaite maîtrise de sa technique, un timbre agréable et beaucoup d'aisance.

Une belle ovation du public - à laquelle je participai - fut la récompense de la très belle interprétation de Kwangchul Youn dans Gurnemanz. Un timbre sombre et sonore, une ligne impeccable, une énorme présence.
Le frisson fut garanti par l'unité, la puissance et la musicalité du choeur.

Philippe Jordan a su faire une entrée remarquable et remarquée dans le temple W, réussissant à imprégner sa clarté, sa souplesse sans ôter le solennel et tout en s'appropriant magnifiquement la particularité de l'acoustique du lieu. Il a reçu, lui aussi, un chaleureux accueil du public.


Conclusion

Et voilà ! C'est la tête pleine de sonorités graves et lyriques, de sonneries et de choral flamboyant que je suis revenue.
La chance - après six ans d'attente seulement - a permis que je participe à cette saison 2012 du Festival de Bayreuth, encore valide et les oreilles parfaitement en état pour en percevoir toute la magie.
Je garde au coeur des émotions particulières et remarquables, intenses, et à l'esprit des souvenirs incroyablement riches et incomparables.