samedi 17 août 2013

Eblouissant Don Carlo à Salzbourg

T. Hampson et J. Kaufmann

Il est des soirées dont on n'attend presque rien et qui nous donnent énormément. Ce 16 août parisien très paisible s'inscrit dans ces dernières grâce à ARTE et à la retransmission de Don Carlo de Verdi en léger différé (évitant entractes aux bla-bla indigestes) depuis le Festival de Salzbourg.

Dans mon article du 30 avril dernier relatant la très belle diffusion de l'oeuvre au TCE, j'énumérai les différentes versions possibles de l'oeuvre de Verdi. Salzbourg avait opté pour la version dite "de Paris", en italien, sans ballet mais avec l'acte de Fontainebleau et le très bel ensemble qui suit la mort de Posa au V, coupé au TCE.

De la lecture de la distribution, résulta mon attente très mesurée. Cinq rôles sont d'une importance capitale dans cette oeuvre et, sur le papier, on pouvait douter, redouter ou craindre pour le bon déroulement de la soirée, l'usure, la méforme ou l'inexpérience de l'un ou plusieurs de ces cinq poids lourds.

Or, si ma réserve s'est vérifiée pour l'un d'entre eux, les quatre autres ont assuré de très belle manière les quatre heures et quelques de chant verdien pur.

Mes louanges réuniront donc dans un même emballement :l'Eboli d'Ekaterina Semenchuk, l'Elisabeth de Anja Harteros, le Rodrigue de Thomas Hampson et le Carlo de Jonas Kaufmann qui ont tous côtoyé longuement l'excellence pendant cette soirée.

Comme je le craignais, le Philippe II de Matti Salminen s'est heurté aux aigus, aux nuances et à la ligne de chant, à l'élégance aussi - à la fois scénique et vocale - que requière ce rôle. Il serait peut-être sage que la basse finlandaise, à l'image de Robert Lloyd magnifique spectre de Charles-Quint hier soir, termine sa longue et brillante carrière dans des rôles moins lourds et davantage à sa portée vocale.

Le plateau fut porté par l'Orchestre Philharmonique de Vienne et ses sonorités à nul autre pareilles et par le choeur de l'Opéra de Vienne auxquels Antonio Pappano a insufflé les accents lyriques, romantiques et envoûtants, soignant les détails et laissant sonner la puissance autant que nécessaire.
T. Hampson et J. Kaufmann
J'ai donc été très agréablement surprise, le chanteur américain ayant beaucoup annulé ses dernières programmations parisiennes, de retrouver Thomas Hampson en pleine possession de ses moyens dans ce très beau personnage de Don Posa auquel il imprime une humanité lucide et touchante. La ligne de chant est sûre, l'ampleur et les aigus vaillants. Physiquement, s'il s'est très légèrement alourdi, il a toujours très fière allure.

La soprano allemande (papa grec) Anja Harteros donne à Elisabeth de Valois une force et une assurance à la fois physiques et vocales. Aucune faille dans cette voix jeune que la chanteuse, si l'on devait reprocher quelque chose, disciplinera encore davantage avec le temps. Phrasé, legato, étendue de la tessiture, volume, expressivité... Toutes les qualités sont là !
Anja Harteros et Jonas Kaufmann
La Princesse Eboli campée par la mezzo-soprano belarusse Ekaterina Semenchuk est, dès la chanson sarrasine du II, ce personnage empêtré dans son besoin de séduire à tout prix, sa quête de reconnaissance qui la poussera à trahir, par vengeance, celle à qui elle vouait une grande admiration. Le timbre est bien coloré sans jamais être trop sombre. Du grave (jamais poitriné) à l'aigu facile, la voix est sonore et le style impeccable. "Ô don fatal" était hier soir un modèle d'interprétation.

Quant à Jonas Kaufmann, je n'imaginais pas possible, dans ce rôle tellement différent, la même qualité d'interprétation et de vocalité que dans son Parsifal du MET. Le ténor munichois m'a prouvé hier soir le contraire. TOUT ! Il y avait absolument tout dans sa prestation d'hier. Indépendamment de sa beauté, son Carlo est exalté, déchiré, pathétique, ténébreux et perdu, parfaitement romantique en somme. Par chaque regard, par chaque posture, par chaque élan Kaufmann campe de manière très juste cet être fragile et tourmenté qu'un rien emballe et qu'un rien anéantit.

Vocalement, c'est tout simplement parfait : ampleur, legato, volume, timbre, engagement, aigus vaillants, medium et grave colorés et profonds... on ne se lasserait pas de louanger sa performance. Il est au sommet de son art, c'est maintenant qu'il faut l'entendre pour en conserver l'émouvante mémoire.

Jonas Kaufmann
Alors, si vous le pouvez, réservez vos billets pour les représentations où il est programmé !!!