Il est réducteur de penser que "Dialogues des Carmélites" n'est qu'une illustration des usages du Carmel et du martyr des carmélites sous la Terreur.
Bernanos et Poulenc nous proposent de bien plus vastes et plus intéressantes réflexions dans l'univers conventuel et dans l'âme des personnages sous les voiles des carmélites.
Olivier Py, dans sa mise en scène rigoureuse et crépusculaire, nous en offre une large palette grâce à une direction d'actrices qui brandissent leur foi comme un étendard et comme paravent à toute atteinte extérieure. Mais, le moment venu, cette foi sera la force de leur martyr.
Le décor tout en simplicité sait nous révéler les divers lieux de l'enfermement :
- l'hôtel particulier du Marquis de la Force qui recèle des siècles de conventions incapables de nourrir l'esprit fébrile de sa fille, Blanche, qui n'arrive pas à imaginer sa place dans cette société
- le Carmel où elle se réfugie, croyant trouver la sérénité et ne rencontrant que le doute sans être débarrassée de sa peur viscérale
- la cellule où Mme de Croissy vit une agonie si proche de celle du Christ qu'elle étendra ses bras en croix dans l'attitude du Sauveur
- la prison où s'exacerbe l'oppressante certitude qu'aucune échappatoire ne viendra modifier la sentence finale.
Olivier Py maîtrise tout cela parfaitement et distribue à chacune des cinq personnalités l'incarnation qui lui est propre :
- l'incandescence radieuse de Constance
- la force orgueilleuse et la rigueur de Mère Marie
- l'agonisante Mme de Croissy, au pied du mur dans son difficile et inéluctable rendez-vous avec Dieu
- la lumineuse grandeur d'âme de Mme Lidoine
- la grande faiblesse qui met Blanche en perpétuelle perdition, sauvée in extremis de son propre mépris.
Olivier Py nous révèle également que Constance irradie et attire Blanche, que Mère Marie aspire Blanche vers le haut, que Blanche se laisse diriger par Mère Marie (physiquement, Py l'accroche à l'épaule de Mère Marie plusieurs fois), Mme Lidoine s'impose à "ses filles" tout en douceur et efface l'influence de Mère Marie auprès d'elles.
Très bien, également, les tableaux vivants des Ecritures qui ponctuent la vie des Carmélites (Annonciation, Nativité, Passion). N'utilisant que les accessoires-symboles, chaque tableau est une image fugitive et très simple à la manière des tableaux des Primitifs.
D'une manière générale, au niveau vocal, cette distribution impressionnante est à qualifier d'excellente. J'oserai toutefois d'infimes réserves.
La direction de Jérémie Rohrer imprime à l'Orchestre Philharmonia un tempo vif, constant qui rajeunit la partition, révélant la dissonance. Les pupitres des vents ne le suivent parfois que difficilement.
Les rôles masculins, forcément secondaires dans cette partition, sont globalement excellents. Mention particulière à la diction et à la belle ampleur de la basse Philippe Rouillon en Marquis de la Force et à François Piolino, prêtre-confesseur du couvent, très convaincant vocalement et scéniquement.
Salut de Philippe Rouillon |
R. Plowright ici à droite |
Théâtralement, Rosalind Plowright (soprano d'origine) réussit une performance incontestable, rehaussée
par la vision en surplomb que nous avons de son lit d'agonie. Vocalement, ce rôle de contralto l'oblige à utiliser au moins trois registres, trois voix différentes dont elle ne maîtrise pas les liens de passage qui devraient les relier. Il en résulte - au moins pour moi - un grand inconfort d'écoute.
S. Koch entre AC Gillet et J. Rohrer |
La voix de Sophie Koch gagne en sûreté dans l'aigu. Elle s'impose avec talent dans le rôle de Mère Marie qui est écrit pour un "Grand Lyrique" selon la partition que j'aie pour quelques temps en ma possession. La mezzo-soprano qu'elle est toujours parvient à dominer la tessiture du rôle. Il m'a toutefois semblé que son timbre y perdait en rondeur. Belle prestation d'ensemble cependant avec une belle présence scénique, à la fois fière face à la Seconde Prieure et presque maternelle avec Blanche.
Grande admiratrice de Régine Crespin, j'ai bien sûr dans l'oreille son incomparable Mme Lidoine à la diction parfaite, assise sur le velours de son timbre.
J'ai cependant été tout à fait séduite par l'élégance radieuse du chant de Véronique Gens. L'air d'entrée au III où Mme Lidoine rassure "ses filles après cette première nuit de prison..." recélait toute la sérénité voulue, une grande musicalité et beaucoup de tendresse. Un très beau moment.
Je ne sais si nous devions regretter Sandrine Piau,souffrante. Très certainement. Il convient cependant de souligner que nous n'avons eu qu'à nous réjouir d'avoir pu, pour cette série de représentations, trouver dans le panel actuel de chanteuses possibles, les voix et les talents d'un grand niveau dans le réservoir du chant francophone. En effet, Anne-Catherine Gillet et Sandrine Devielle se sont succédées pour la remplacer, avec un égal bonheur.
Anne-Catherine Gillet |
Anne-Catherine Gillet, qui a déjà endossé les doutes de Blanche tout récemment, a repris ici l'habit de Constance avec toute la juvénilité souhaitée. Elle irradie véritablement par sa vocalité sans faille, son timbre léger et coloré, sa parfaite précision. Sa tenue en scène est toujours d'un grand naturel et nous délivre un personnage lumineux, vif et léger qui n'est jamais mièvre.
J. Rohrer, Patricia Petibon, V. Gens |
Mon avis a toujours été réservé vis à vis de Patricia Petibon. Ses interprétations ne m'ont jamais passionnée et je suis assez imperméable à son timbre. Je reconnais que, si bien cadrée théâtralement ici, elle livre une interprétation de grande qualité du rôle de Blanche de la Force, juste et sans effet surjoué. Vocalement, son médium s'est suffisamment élargi, tout en conservant la pureté de ses aigus.
Un cinquantenaire de la mort de Francis Poulenc, célébré de très belle manière avec cette production des "Dialogues des Carmélites" au TCE.
Un moment lyrique fort dans cette saison parisienne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire