mardi 27 mars 2012

Des doubles, une Veuve, un atelier, des miniatures et La Loingtaine...

I - Miniatures Flamandes 1404-1482


La BNF (site F. Mitterrand) propose, jusqu'au 10 juin, une très importante et très belle exposition sur les maniatures flamandes du XVème siècle.
Les manuscrits sont produits sous Jean-sans-Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire, les ducs de Bourgogne qui ont alors la main sur les anciens Pays-Bas méridionaux. Les foyers artistiques se situent en Flandre, Artois, Hainaut et Brabant. Les manuscrits enluminés voient le jour à Bruges, Gand, Anvers ou Bruxelles mais aussi à Hesdin, Lille et Valenciennes. L'héritage est donc commun à la France et à la Belgique, et les fonds sont partagés entre la Bibliothèque royale de Belgique et la Bibliothèque nationale de France.

De la "Vie de Catherine d'Alexandrie" aux livres de chasse en passant par les
épopées chevaleresques et les romans courtois, le meilleur de la production des meilleurs enlumineurs du moment est proposé à nos yeux émerveillés. En effet, la Cour des Ducs de Bourgogne passera des commandes tout au long du XVème siècle et les plus grands enlumineurs de l'époque produiront des manuscrits fabuleux de créativité et de richesse, des ateliers d'où sortiront des oeuvres collectives ou des techniques particulières comme la "grisaille".


La plupart des pages présentées datent pour l'essentiel des années 1404 à 1477 (année de la mort de Charles le Téméraire), les plus belles et les plus intéressantes. Après 1480, cet art dégénère rapidement, les lavis bleus ou verts meublent l'espace et le dessin devient moins précis et bien moins détaillé. Personnellement, les miniatures tardives me captivent moins. Le relais est pris par les peintres primitifs flamands entre autres, qui s'inspireront des enlumineurs.

II - La Veuve Joyeuse - Opéra Garnier le 22 mars

Après tout ce sérieux, je filai m'encanailler à l'Opéra Garnier en assistant à "La Veuve Joyeuse" de Franz Lehar. Enfin, m'encanailler, c'est beaucoup dire car la production de Jorge Lavelli (reprise) n'offre pas trop l'occasion de s'esclaffer.

La légèreté a pris du plomb dans ce grand décor abstrait et grandiloquent et ces éclairages à contre-jour qui assombrissent le devant de la scène, là où chantent les interprètes qui se trouve à l'ombre d'une lumière blafarde bien tristounette. On est loin de la fantaisie débridée d'un Pelly (oui. Encore !)

La direction d'Asher Fisch est plan-plan et la belle voix de Susan Graham a du mal, elle aussi, à alléger son chant. Alors, bien sûr, c'est très beau mais il faut bien reconnaître qu'il ne se passe pas grand chose.


En revanche, Bo Skovhus campe un Danilo virevoltant, soutenu par un beau timbre à la diction parfaite. Un vrai séducteur d'opérette !

Ana Maria Labin, Daniel Behle, Franois Piolino, Franz Mazura, Claudia Galli composent une distribution honnête et homogène. Harald Serafin n'arrive plus à chanter mais à plus de 80 ans on lui reconnaît l'interprétation scénique d'un Baron Mirko désopilant.


Seul le magnifique can-can final réussira à réveiller la salle et à nous ramener dans l'atmosphère de l'opérette ! ça c'est Paris !!

III - A Paris toujours, en plein centre, le Centre Pompidou nous entraîne, jusqu'au 18 juin, dans l'univers de Henri Matisse au travers de ses "paires et séries".


Quelques-uns des tableaux les plus connus, faits et refaits par l'artiste en deux, trois ou quatre exemplaires (voire +). Le doute, la remise en cause, l'exploration de la peinture elle-même, nous sont proposés dans toutes leurs variantes : le cadre, le dessin, la touche ou les couleurs. Une même idée plusieurs fois exprimée. L'occasion pour ceux qui ne connaissent pas de s'imprégner du cheminement du peintre. Pour les autres,le plaisir de voir ou revoir le même tableau confronté à ses doubles


IV - A ceux qui, comme moi, n'y étaient jamais entré, l'Atelier Brancusi présenté sur la Piazza du Centre (côté Rambuteau), libre d'accès, vous permettra de voir le leg fait à l'Etat Français par Constantin Brancusi, de l'intégralité de son atelier avec tout le contenu, sous réserve de le reconstituer tel qu'il se présentera le jour de son décès.

Une intéressante visite en quatre parties où sont disposées les oeuvres, les matériaux et les outils, dans l'atmosphère du créateur. Indépendamment ou en complément d'une visite au Centre Pompidou, un moment hors du temps dont l'accès, je le répète, est libre... !

V - Enfin, par ce superbe soleil printanier, c'est sur les bords du Loing et en lisière de la Forêt de Fontainebleau que je me suis rendue pour un concert à "La Loingtaine".

Le programme initial a été fortement bousculé par la défection du pianiste Alexander Taylor, malade.
Les deux jeunes solistes - Sander Geerts, alto et Yasuko Takahashi, piano - débarqués du Thalis après un concert le matin même à Bruxelles, juste quelques minutes avant le concert, nous ont joué une pièce de de Falla pour alto et piano et une oeuvre d'un compositeur belge dont je vous communiquerai le nom dès que les organisateurs nous l'auront indiqué. Ces deux oeuvres remplaçaient celles prévues initialement par le trio maison (Aki Saulière, violon, Raphael Bell, violoncelle et Alexandre Taylor, piano) à savoir le Scherzo de la sonate F-A-E pour violon et piano et la Sonate de Franck en la majeur pour violon et piano également.

Si l'on peut regretter le contretemps, je tiens à saluer le professionnalisme et les risques pris par les deux musiciens qui nous ont interprété deux oeuvres difficiles dans des conditions particulièrement périlleuses : arrivés sur les lieux dix minutes avant le début du concert pour jouer, dans une ambiance certe conviviale, mais dans une salle qu'ils ne connaissaient peut-être pas, même si elle est de petite taille.

En seconde partie, nous avons eu droit à une triple performance. La jeune pianiste Yasuko Takahashi, après seulement une petite demie-heure de répétition, jouait la réduction d'orchestre pour piano du Concerto pour violon et violoncelle de Brahms dont, vraisemblablement, elle découvrait la partition. C'est avec applomb et beaucoup de brio qu'lle a accompagné les deux solistes. La performance de ces derniers tient dans la première audition publique qu'ils donnaient de ce Concerto, avec une accompagnatrice de secours et après tous le stress qu'ont dû engendrer les avatars de la recherche d'artistes libres et compétents dans les dernières heures d'avant-concert et de leur acheminement
C'est néanmoins avec beaucoup de talent et de style, de musicalité et d'engagement que Aki Saulière et Raphaël Bell nous ont offert cette interprétation de ce Concerto..


Nous avons quitté ce lieu enchanteur dans la douceur de cette soirée ensoleillée.

dimanche 18 mars 2012

Pêle-mêle artistique

Des émotions artistiques diverses ont émaillé ces derniers jours ; en voici le récit.

Je commence par la plus récente, un merveilleux moment de musique pure, vécu lors de l'enregistrement, à Radio-France, de l'émission de Stéphane Goldet "Lettres Intimes".
La partie concert à laquelle nous assistions, mettait en miroir les quintettes pour clarinette et quatuor à cordes de W.A. Mozart et de J. Brahms, deux oeuvres majeures du répertoire.

Dans l'ambiance à la fois feutrée et fervente du Studio 106, les musiciennes du Quatuor Ardeo, plus talentueuses et plus jolies les unes que les autres (voir site avec le lien) et le jeune clarinettiste suisse Reto Bieri, nous ont offert une interprétation exceptionnelle de ces deux monuments que sont le Quintette K581 en la Majeur de Mozart et celui de Brahms op115.

Ces oeuvres sont, pour les deux compositeurs et à un siècle de distance (1789 - 1891), le résultat de leur rencontre avec un clarinettiste et de leur coup de foudre pour les sonorités de cet instrument. Chez Mozart, le catalogue est presque achevé et Brahms pensait sa veine créatrice tarie. Les similitudes ne s'arrêtent pas là car Brahms, fervent admirateur du Quintette de Mozart, cherchera à reproduire une atmosphère équivalente avec une composition de son époque.

Voilà pour l'essentiel sur les oeuvres ; vous en apprendrez beaucoup plus en écoutant l'émission des "Lettres Intimes" du dimanche 1er avril (18 h - 21 h) sur France Musique.

Pour en revenir aux interprètes, leur installation en arc de cercle avec, en son centre, le clarinettiste, a favorisé une osmose entre les instruments et entre les musiciens quasi divine. Alliée à leur talent, cette disposition leur a permis d'exposer toutes les palettes de nuances tour à tour joyeuses, facétieuses, tendres et charmeuses, douces et graves, optimistes et enlevées dans le Mozart. J'ai, pour ma part, été tellement touchée par les modulations de Reto Bieri dans la sublime cantilène du Larghetto que des larmes ont perlé à mes paupières.

Tout aussi riche fut l'interprétation du Brahms : dans l'Allegro, une succession d'exposés divers tourne autour du motif d'entrée. L'Adagio est un "Chant d'amour" que le son moelleux de la clarinette de Reto Bieri a développé en prenant des risques inouïs sur des modulations filées d'un extrême pianissimo ; j'étais en apnée ! Les deux mouvements suivants nous ont offert des variations furtives, menant mon esprit d'une idée à l'autre tour à tour pressée, fiévreuse ou nocturne pour finir. Un enchantement que je vous souhaite de ressentir lorsque vous écouterez l'émission en direct le 1er avril ou, en différé pendant un mois, sur le site de France Musique.

Difficile, après le sublime, de narrer l'à-peu-près ; encore que le moins bon soit nécessaire pour que nous reconnaissions le sublime...

L'Opéra Comique faisait "son Cinéma" le 10 mars dernier. Sur une idée (plutôt bonne) et une présentation (plutôt dynamique) de
Benoît Duteurtre, l'histoire de l'Opéra Comique défilait sur l'écran au gré des extraits de films (muets le plus souvent) illustrant le propos. Quelques airs sortis de derrière les fagots et chantés par Clémence Barrabé (soprano), Julien Dran (ténor) et Lionel Peintre (baryton) ponctuaient le tout avec plus ou moins de bonheur. La première partie fut plaisante. La seconde, une fois passée l'intervention savoureuse de Gabriel Bacquier (baryton)
qui fit les belles heures de cette scène, manqua furieusement d'intérêt et, surtout, "zappa" les années entre 1954 et 1968 comme si rien ne s'était plus déroulé dans la Salle Favart. Or, c'est à cette époque et dans ce lieu bénit que je découvris l'opéra et que presque chaque soir j'allais écouter, dans le désordre : Mady Mesplé, Michel Dens, Jean-Pierre Laffage, Monique Depondeau, Yves Bisson, Michèle Herbé, Christiane Castelli, Suzanne Sarroca, Andrée Esposito, Rita Gorr, Jacques Mars, Denise Monteil, Alain Vanzo, Albert Lance, Robert Massart, Eliane Manchet, Marie-Luce Bellary, Jane Rhodes, Christiane Eda-Pierre, Christiane Stutzmann, Michel Sénéchal... En même temps, Maurice André jouait trompette solo dans la fosse et cette scène voyait la création en France d'oeuvres comme : Zoroastre (Rameau), l'Ange de Feu (Prokofiev), la Fille du Far-West (Puccini), Lulu (Berg), etc... Bref, espérons que la prochaine édition de cette série reviendra sur cette période trop vite éludée ce 10 mars et qui remplissait la salle à 80 %, pourcentage supérieur à celui de la Comédie Française à la même époque. Le "zapping" m'est resté sur l'estomac !

Sinon, grâce à la générosité d'une amie, j'ai participé à l'inauguration de la nouvelle exposition du Musée d'Orsay : Degas et le nu. Très intéressant parcours sur "le corps comme inspiration" dans l'oeuvre du peintre, qui nous rappelle qu'il ne s'est pas intéressé qu'aux petites danseuses et qu'il a, au fil des années, enrichi sa palette (surtout ses craies à pastel) de tons surprenants, nuancés et chatoyants. Beaucoup de dessins d'études et préparations de belle qualité. Musée d'Orsay jusqu'au 1er juillet.

Enfin, le 15 mars, l'Atelier Lyrique de l'ONP nous proposait un hommage à Jules Massenet en un concert à Garnier. L'Atelier Lyrique accueille de jeunes chanteurs (25-30 ans environ) en fin de cursus. Ils sont mi-élèves/mi-professionnels et l'Atelier Lyrique leur apporte un perfectionnement, en particulier sur le chant français.

Les ouvrages choisis et la qualité des chanteurs ont présenté un intérêt variable. Pour ma part, j'ai retenu deux excellents barytons :

- le français Florian Semper qui a interprété l'air de Lescaut (Manon, acte III) avec vaillance, une voix bien timbrée et beaucoup de style.

- le polonais Michal Partyka doté d'un très beau timbre alié à un legato impeccable, des aigus vaillants et bien placés. Il a interprété, avec beaucoup de style, l'air d'Hérode (Hérodiade, acte II)


ainsi qu'une excellente mezzo-soprano française, Mariane Crebassa
qui s'est illustrée dans le rôle du Prince (Cendrillon, acte III) avec beaucoup de style, une belle ligne de chant et de beaux aigus bien timbrés.


Pour Cyrille Dubois, ténor français au volume un peu restreint, je relève les qualités suivantes : un beau style, une belle vaillance, un engagement scénique certain et un aigu sans faille dans l'air de Lentulus (Roma, acte III).

Une semaine écoulée en grande partie sous le soleil printanier et qui, bien que terminée sous la pluie, fut ensoleillée par les Quintettes avec clarinette de Mozart et de Brahms !

mercredi 7 mars 2012

Parsifal au Théâtre des Champs-Elysées


Daniele Gatti : direction




Christopher Ventris : Parsifal
Mihoko Fujimura : Kundry
Kurt Rydl : Gurnemanz
Lucio Gallo : Klingsor
Detlef Roth : Amfortas
Andreas Hörl : Titurel
Michael Laurenz, Robert Jezierski : chevaliers
Manuel Günther, Andreas Früch : écuyers
Julia Borchert, Katharina Peetz : écuyères et filles-fleurs de Klingsor
Martina Rüping, Carola Guber, Christiane Kohl,
Jutta Maria Böhnert : filles-fleurs de Klingsor
Orchestre National de France
Chœur de Radio France direction : Matthias Brauer
Maîtrise de Radio France direction : Sofi Jeannin

Puisque, pour ce Parsifal, pas besoin de parler de mise en scène (ouf !), je commence tout de suite par la direction d'orchestre.

Les options choisies par Daniele Gatti - une extrême lenteur de tempi par moments, des déchaînements tranchants à d'autres, la part belle laissée aux solistes de l'Orchestre National de France - n'appartiennent qu'à lui et donnent à l'ensemble une lecture dramatique et solennelle, très évocatrice, qui éclaire l'oeuvre d'une touche d'italianité qui peut dérouter mais livre des émotions diverses - pas toujours d'un niveau exaltant - mais forçant la réflexion.

A la limite de la rupture parfois, la lenteur alliée à des pianissimi d'une grande intimité, Daniele Gatti nous offre une exécution déroutante mais habitée.

Les Choeurs et la Maîtrise de Radio France, très bien préparés par leurs Chefs respectifs (Matthias Brauer et Sofi Jeannin), sont d'un excellent niveau. On peut regretter que les enfants aient été relégués en coulisse, sans doute pour une évocation plus céleste, mais ce qui diminue l'ampleur et le volume. Reste une interprétation sans mièvrerie.

A noter que la distribution est très proche de celle dirigée par Daniele Gatti à Bayreuth en 2011 et de celle que je verrai au Feldspielhaus en Août prochain.

J'ai trouvé les Filles-Fleurs très moyennes et manquant d'homogénéité. Sans doute la battue très lente de Gatti en est-elle la raison ?

Detlef Roth ne possède pas tout à fait le volume nécessaire au rôle d'Amfortas mais chante avec beaucoup de style. Le timbre assez banal rend difficile la force dramatique du rôle.

Lucio Gallo est un Klingsor tout à fait honnête avec un beau timbre et beaucoup de conviction. Belle ligne de chant.

Malgré son magnifique timbre sombre de contralto et le volume impressionnant de sa voix, Mihoko Fujimura ne convainc pas en Kundry. Elle s'époumonne sous la direction lente de Gatti, perdant le contrôle de sa technique vocale dans ce rôle particulièrement difficile et n'arrivant pas à donner un seul aigu potable.

Kurt Rydl a très agréablement surpris tout le monde en chantant le rôle très lourd de Gurnemanz malgré une carrière - certes brillante - mais déjà bien remplie depuis longtemps.
Une fois passées les vingt à trente premières mesures où la voix vibre, la ligne de chant se stabilise et on goûte alors ce timbre d'une très grande richesse, cette ampleur, cette élocution et ce style parfaits. Tout à fait à son aise au troisième acte, il en devient même carrément éclatant ! Châpeau Monsieur !!

Quant au Parsifal de Marc Ventris, je le trouve un "peu léger". Surtout au troisième acte où j'aurais aimé une voix plus affirmée, plus colorée, plus vaillante aussi pour coller davantage à ce personnage fort de libérateur et de rédempeur. Mais il n'y a rien à reprocher au ténor, ni stylistiquement ni vocalement.

Une belle ovation a salué les interprêtes, de la part d'un public un peu clairsemé mais à l'écoute particulièrement attentive.