dimanche 22 novembre 2015

Paris, L'Elisir d'Amore et Lulu depuis New York

Nous fêterons, avec "Au Choeur des Voix", le printemps et Paris les 19 et 20 mars prochains à Bourron-Marlotte. Ceci n'est pas une pub. Il y a longtemps déjà que notre Chère Alix a choisi Paris comme thème pour notre spectacle. Nous ne pensions pas qu'une violente actualité viendrait s'inviter au moment où nous commençons nos répétitions.

Cependant, après les larmes du triste réveil qui fut le nôtre le samedi 14, c'est avec beaucoup de volonté résistante que nous avons travaillé nos airs (Donde lieta usci..., Ô Paris, gai séjour... et autres mélodies légères) et déchiffré, dès le dimanche après-midi, le choeur d'entrée de La Vie Parisienne.

Une manière d'affirmer notre attachement à Paris, magnifique ville lumière, ville de fêtes, ville d'ambiances et de plaisirs mais, aussi, ville de solidarité, ville de résistance et d'accueil, ville d'insurrection et de mobilisation qui ne s'en laissera jamais conter par quelque organisation terroriste que ce soit ni par quelque dictature religio-politique que ce soit.

Alors, amis parisiens, ne vous laissez pas gagner par la peur. Sortez ! Allez boire un verre aux terrasses des cafés, rendez-vous au théâtre, au ciné, à l'opéra, dans les music'hall et les musées... Vous avez la chance d'avoir à portée de vos yeux et de vos oreilles le meilleur de la culture et du divertissement. Alors, profitez-en !!!

Nos instances gouvernementales ont déclaré la guerre à Daech. Très bien. Menons notre guerre contre l'intolérance et l'obscurantisme, la violence abêtissante et stérile et les croyances d'un autre âge. Défendons, au jour le jour, les fondements de notre culture et ce bien si précieux : NOTRE LIBERTÉ !



Je résistai donc, mercredi soir, dans la salle de l'Opéra Bastille. Et je constatai, avec bonheur, que nous étions fort nombreux à nous rebeller, la salle étant pleine. Il faut dire que l'affiche très séduisante nous conviait à assister à cette reprise de "L'Elisir d'Amore" de Gaetano Donizetti dans la mise en scène de Laurent Pelly avec le couple lyrique nouvellement marié : Roberto et Aleksandra.
Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna

Premier jour de reprise après le drame du week end, Stéphane Lissner prononça quelques mots et fit observer une minute de silence qui en fut une véritable et très impressionnante. Après quoi, orchestre, choeur et solistes entonnèrent La Marseillaise.
A. Kurzak, R. Alagna, Mario Cassi, Ambrogio Maestri

Et puis, place à la musique ! Celle, enthousiasmante, de Donizetti. Dans la mise en scène pétillante et colorée de Pelly, les deux tourtereaux ont su être fringants, légers et primesautiers. 

Joli timbre d'Aleksandra Kurzak qui prête son joli minois à Adina. Voix pas très volumineuse mais bien projetée aux aigus parfois difficiles.

Le Belcore est servi par Mario Cassi avec un beau timbre de baryton mais qui manque un peu d'assurance. 

Ambrogio Maestri est un Dottor Dulcamara vocalement parfait et scéniquement truculent à souhaits.
Ambrogio Maestri et Roberto Alagna

Bonne prestation de Mélissa Petit dans le rôle, court mais important, de Giannetta.

Quant à notre Roberto, il est superbe ! Bien dans sa tête, heureux dans sa vie, lumineux dans sa voix. Sautant, bondissant, alerte et vif comme un jeune homme, il se joue des difficultés et semble s'amuser beaucoup. Il chante le très bel air "Una furtiva lacrima" avec un legato et un phrasé incomparables. Il remplace la légèreté lumineuse de ses débuts par une coloration plus charnue et plus ample de son timbre qui alourdit à peine la mélodie en lui donnant une nouvelle consistance plus opulente. C'était très beau et le public ne s'y est pas trompé qui lui fit une ovation.

Choeur et orchestre impeccables, direction honnête.


Dans les retransmissions du MET de cette saison, nous avons eu droit hier soir à la nouvelle production de Lulu d'Alban Berg.

Oeuvre sombre et difficile que cet opéra créé en 1937 en Suisse. Ce fut une grande soirée d'opéra à laquelle ont assisté les spectateurs courageux de l'Ermitage à Fontainebleau, dans une très créative mise en scène de William Kentridge qui évolue sur fond de multiples dessins qui se créent en vidéo sous nos yeux, les chanteurs en costume années 30 colorés (vert pomme...) évoluent dans des décors Art Déco à la fois minimalistes et grandioses (table, chaise, canapé, échelle, escalier...), l'ensemble restant d'un grand esthétisme ; j'en retiendrai la formidable direction d'acteurs de tous les chanteurs, expressifs, concernés, convaincants.

La direction musicale est confiée à Lothar Koenigs et je n'oserais rien en dire sinon qu'elle m'a semblée très bonne.

Pour la ditribution, en revanche, j'ose me prononcer. Tous les rôles furent parfaitement chantés : Franz Grundheber, Johan Reuter, Paul Groves, Daniel Brenna, Susan Graham ont donné le meilleur d'eux-même dans cette difficile partition.
Quant à Marlis Petersen, elle est une Lulu absolument magnifique, tant vocalement que scéniquement. Belle, sensuelle, attachante et crispante tout à la fois, elle chante, à moitié nue tout au long de la représentation, ce rôle si lourd et si tendu, sans une faille. Un grand BRAVO ! et merci au MET pour cette retransmission.

mardi 3 novembre 2015

Moses und Aron de Arnold Schoenberg - De l'indiscible en noir et blanc

Opéra Bastille - 26 octobre 2015

Arnold Schoenberg (1874 - 1951) compose en deux années (1931-1932) les deux actes de son oeuvre inachevée, après l'avoir longuement mûrie, depuis 1925 pense-t-on.

Il écrit le troisième acte mais n'en composera jamais la partition bien qu'il ait affirmé, à plusieurs reprises, pouvoir le faire en quelques mois.

L'oeuvre est donc le plus souvent donnée en deux actes et s'achève aux "Tables de la Loi", comme la production actuelle de l'Opéra de Paris. Il arrive que certains théâtres restituent le troisième acte déclamé, comme l'a suggéré Schoenberg lui-même peu avant sa mort.

C'est ce que m'a appris le Kobbé, seule ressource consultée avant de m'asseoir dans mon inconfortable fauteuil de Bastille ce soir-là. Vierge de toute influence concernant cette production et dotée d'un très mince bagage sur l'oeuvre, je m'attendais à un spectacle total mais difficile. Ce fut total et difficile, musicalement, fort et souvent enthousiasmant, scéniquement globalement d'un grand esthétisme.

Mon attention a, bien sûr, subi maintes déperditions : musicales d'abord malgré la beauté, la clarté et l'immense talent des Choeurs et de l'Orchestre de l'Opéra de Paris sous l'admirable direction de Philippe Jordan. Grâce à lui, certainement, je suis parvenue à entendre ces sonorités incroyablement diversifiées, ces rythmes fractionnés, fragmentés ou rompus. J'ai pu apprécier l'énorme travail du Choeur dont les parties multiples se mélangent, chant et déclamation, chuchotements perceptibles par mes oreilles inaccoutumées. Merci à tous pour cet art abouti.

Sans présumer de ce que Patrice Chéreau, à qui Stéphane Lissner (actuel Directeur de l'Opéra de Paris) avait initialement confié la mise en scène, aurait conçu ce spectacle, je crois qu'on peut penser qu'il y aurait gagné en humanité et en direction d'acteurs.

C'est en effet - et à mon humble avis - ce qui manque à la mise en scène de Romeo Castellucci. Cependant, je lui reconnais un grand sens de l'esthétisme, surtout dans la première partie où, après la scène du Buisson Ardent (simple anneau lumineux rougeoyant) et l'accord d'Aaron pour être le porte-parole de son frère, le Peuble Elu, enveloppé de tulle blanc, se meut dans un épais brouillard laiteux où les visages et les mains sont comme "floutés". Pour le spectateur, l'effet est le même que lorsqu'on conduit, la nuit, sur une route qui se perd dans le brouillard et que la visibilité humide se borne à la longueur restreinte de la lumière floue des phares.

Belle idée les mots incohérents projetés à toute volée et qu'Aaron ne parvient pas à rendre compréhensibles pour le Peuble. Mais la projection en est trop longue et capte l'attention malgré soi, au détriment de l'écoute.

Le second acte voit le passage du blanc au noir, du bien au mal dans la scène du Veau d'Or. Ce dernier est très avantageusement représenté par un plantureux et affable taureau au poil frisé et court sur pattes, sans doute habitué des concours du Salon de l'Agriculture car d'une placidité à toute épreuve, même à celle de l'arrosage du liquide noir sur son pelage clair...

Personne sur scène n'échappe au liquide visqueux et sombre, le Peuble entier se roulant dans ce symbole représentant tout à la fois la luxure, l'orgie et l'obsession suicidaire.





Là encore, au bout d'un certain temps, les aspersions et les baignades noires lassent et dispersent l'attention.Heureusement, la chorégraphie très appropriée de Cindy Van Acker souligne d'une manière plus élégante la chute collective dans la débauche.




Lorsque Moïse revient du Mont Sinaï, les mots des Tables de la Loi s'impriment au sol, l'encre noire s'est logée dans les aspérités des lettres qui apparaissent lorsque le sol est nettoyé de cette fange.

Tous les rôles, très épisodiques, sont parfaitement chantés par des membres du Choeur.



John Graham-Hall, ténor au timbre lumineux, campe un Aron très solaire. Sa vaillance est altérée par un vibrato sérieux dans le médium mais les aigus sont éclatants.







Le Moses de Thomas Johannes Mayer m'a paru, quant à lui, tout à fait irréprochable. Beau timbre de
baryton-basse, ample et bien projeté.


A tous les deux je dis toute mon admiration pour l'interprétation de ces deux rôles si ardus musicalement et vocalement.

J'ai donc découvert avec un grand contentement cet opéra dodécaphonique du XXème siècle. Il est probable que j'irai le voir de nouveau car, bien entendu, beaucoup de subtilités m'ont échappées. Néanmoins, le jour n'est pas encore venu où je l'écouterai dans mon salon...

lundi 10 août 2015

Elèves de la Guildhall School à Fontainebleau

Un petit mot sur les deux soirées de samedis où les élèves de cette célèbre école londonienne Guildhall School nous ont donné quelques extraits de leur talent.
Thomas Atkins et Szymon Wach
Et du talent, ils en ont ! Que ce soit dans la mélodie, objet de leur première prestation. Que ce soit les grands mélodistes français (Poulenc, Fauré...), la mélodie selon Britten ou celle du compositeur "maison", Lliam Paterson, tous (sopranos, mezzo-sopranos, barytons et ténor) nous ont ravi les oreilles de belles sonorités, de parfaites lignes de chant, une bonne articulation du français, bref, de très belles voix !

Thomas Atkins


A noter, tout de même, que si tous sont déjà prêts pour affronter les publics les plus exigeants, le ténor Thomas Atkins - retenez bien ce nom, je pense qu'on en entendra parler rapidement... - possède toutes les qualités d'un déjà magnifique chanteur : le timbre, le phrasé, la stabilité, la présence, l'ampleur et le volume...





Le second concert de ce samedi nous emportait vers d'étranges et dangereuses Liaisons. Deux extraits d'opéra puisés dans le Répertoire : Donizetti et son Elisir d'amore et Puccini avec Madama Betterfly. Thomas Atkins s'y est illustré avec le même bonheur, aidé en cela par le baryton Szymon Wach qui devrait, lui aussi, faire une belle carrière. Laura Ruhi-Vidal (soprano) et Katarzyna Balejko (mezzo) complétaient très talentueusement ces extraits.

Le ténor et professeur, Adrian Thompson, a chanté des mélodies du compositeur britanique Stephen McNeff, contemporain. En duo avec Kathleen Brett, ils ont interprété une cantate du même compositeur sur un texte du poète anglais John Milton.
Laura Ruhi-Vidal et Thomas Atkins
En seconde partie, après la scène d'entrée de Butterfly, les chanteurs nous ont représenté une composition compilée de Stephen McNeff, Laurence Osborn et Lliam Paterson, concoctée spécialement pour l'occasion sur Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Si l'ensemble ne m'a pas totalement convaincue, j'ai cependant passé une excellente soirée lyrique où j'ai pu apprécier à leur juste valeur de jeunes artistes lyriques qui, j'en suis persuadée, vont faire de belles carrières ! Voici leurs noms : Lizzie Karani, Chloe Treharne, Lauren Zolezzi, Thomas Atkins, Martin Haessler, Katarzyna Balejko, Szymon Wach, Laura Ruhi-Vidal. Au piano pour les accompagner  Matteo Oberto, Dominic Wheeler, Christopher Ma et Lliam Paterson (également compositeur).

Thomas Atkins et Szymon Wach

vendredi 7 août 2015

Le Trouvère à Orange le 4 août 2015 - Retransmission télévisée

Chrorégies d'Orange 2015 - Le Trouvère
Inspiré d'un drame espagnol de A.G. Gutiérrez, le livret touffu du Touvère n'a, en réalité, que peu d'importance. Comme tout bon opéra bel-cantiste, le récit ne s'éclaire qu'à la lumière des airs, duos, trios et autres choeurs qui se succèdent jusqu'au bout du drame.

Tout, ou presque, est dit dans le préambule chanté au le début de l'oeuvre par Ferrando. Il n'y a plus qu'à suivre les évènements qui se succèdent au fur et à mesure que le drame se déroule. Pour cela, Verdi compose un opéra vif, fougueux même, avec des mélodies passionnées et dont la spontanéité nous émeut. Le mouvement est constant et il se passe toujours quelque chose. C'est un opéra populaire dans le meilleur sens du terme.

La mise en scène de Charles Roubaud ne déconcerte pas le spectateur des gradins d'Orange. En revanche, au petit écran (et le mien est vraiment petit...), on perçoit mal, filtrés par l'oeil des caméras, les déplacements d'ensembles ce qui nous la rend quasi inexistante. En revanche, la direction d'acteurs montre toute sa pauvreté par le truchement de ce même filtre. Chacun fait ce qu'il peut, comme il peut. Certains chanteurs parviennent à être convaincants (Lemieux, Alagna), les autres se contentent de chanter et parviennent difficilement à nous émouvoir.





Bertrand de Billy emmène orchestre et plateau dans les envolées lyriques souhaitées et imprime une belle délicatesse aux arias mélodieux. Sa direction est précise et ne sombre jamais dans le clinquant.








Il manque encore un petit quelque chose que je ne parviens pas à définir - ne l'ayant jamais entendu en direct - à Nicolas Testé (Ferrando) pour démontrer toutes ses qualités. Le timbre est chaleureux, le style parfait et la prestance élégante. Cependant, une sorte de réserve semble retenir à la fois l'expressivité et la projection vocale. Mais beaucoup d'espoirs sont permis à cette jeune voix de basse.







Mardi soir, le roumain George Petean a trébuché sur son air d'entrée. Heureusement pour nous - et pour lui - son timbre et sa ligne de chant, alliés à un pur style de baryton verdien, lui ont permis de nous offrir une magnifique interprétation vocale du Conte de Luna. Sa crédibilité scénique reste à démontrer.




De retour dans l'Hexagone après une absence prolongée hors des scènes européennes, la contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux maîtrise encore mieux que l'an passé à Salzbourg ce rôle très lourd, fondamental dans l'opéra puisque tout tourne autour de ce personnage violent et enfiévré.


On connaît l'étendue de cette voix. Les graves sont profonds et les aigus restent faciles et bien en place. Elle incarne avec panache une Azucena perdue et éperdue, aimante et furieuse, blessée et vengeresse.

La soprano chinoise Hui He est très belle. L'émission semble puissante et le registre ample. Le style n'est pas parfait mais de très belles réussites techniques s'en approchent étroitement. Reste une justesse approximative dans les duos et ensembles ainsi que quelques commas (intervalle très petit dans la division d'un ton) manquants dans certains aigus. Peu d'émotion passe jusqu'à nous.

J'en viens à notre Trouvère national, Roberto Alagna. Beaucoup de plumes agressives se sont encore exprimées négativement après sa prestation. Envieux, irascibles ou malentendants, tous ces teneurs de stylo belliqueux peuvent bien se déchaîner, il n'en demeure pas moins que Roberto Alagna est, encore et toujours, un magnifique ténor dont le timbre précieux et ensoleillé illumine ce rôle. Sa magnifique ligne de chant, sa projection et son articulation inimitables, sa belle et vive allure imprime au rôle une incandescence naturelle qui façonne un personnage vaillant et chaleureux. Par lui, on est ému.



portée 2 octaves
Maintenant, si on ne l'écoute que pour l'entendre "coincer" le contre-ut (do au-dessus de la portée) du "Di quella pira" et pouvoir dire qu'il ne peut plus chanter, c'est réduire l'opéra à une séance de sauts à la perche où Renaud Lavillenie aurait raté la barre à 6,20 m ! J'apprécie beaucoup l'athlète mais ma passion pour l'art lyrique va au-delà du contre-ut et s'intéresse en profondeur aux qualités des interprètes.

VIVA VERDI !!!


dimanche 19 juillet 2015

Waltraud Meier chante sa dernière Isolde à Munich

C'était sa dernière Isolde et elle l'a chanté à Munich ! Lisez l'article de Resmusica.

Merci Waltraud Meier pour ces instants flamboyants que vous m'avez fait passer lors de vos interprétations parisiennes !

mercredi 15 juillet 2015

Un bel été commence...

L'été s'est installé sur l'hexagone avec son soleil ardent, sa semaine annuelle de canicule, ses longues soirées délicieuses au clair de lune et sa transhumance estivale. Avant de laisser s'envoler les élèves vers les bonheurs des jeux de plage, leurs activités annexes les ont réunis pour une fête annuelle, couronnement attendu d'un projet mitonné tout au long de l'année.

J'ai pu ainsi saluer le talent des jeunes futurs interprètes de comédie musicale de Chaville et les qualités des quelques deux cents petites danseuses de l'Académie de Danse de Saint-Maur et de l'Ile de France.

La fin du printemps, c'est également le moment où les programmes radio se mettent au vert ou, pour certains, s'arrêtent définitivement. J'étais donc à Radio France pour la "Der des Der" de l'émission de France Musique Notes du Traducteur de Philippe Cassard.

Ce sont aussi, avant une fermeture bien méritée, les dernières représentation de l'Opéra National de Paris. Adriana Lecouvreur de Cilea terminait mon abonnement 2014/2015 de la grande maison.

C'est, enfin, l'ouverture des festivals dont les chaînes de télévision et certaines plates-formes numériques offrent les retransmissions aux amateurs qui n'ont pas le bonheur de s'y rendre. La Carmen d'Orange ouvrait le feu avec un très beau plateau.

Voyons donc tout cela en détails.
  1. Natacha Wassilieff, professeure pleine de ressources, a concocté pour ses élèves une adaptation libre d'une série télé américaine "Une Nounou d'Enfer", comédie musicale inspirée des airs de "Smash" dont elle a réécri les paroles.
    L'ensemble nous livre un spectacle haut en couleurs et d'un excellent niveau artistique.
    Parmi les
    Maud Fermé
    individualités à noter, je cite la présence truculente de Maud Fermé, la belle composition de Juliette Doummar,
    Alexandre Blin
    l'excellente prestation, tant vocale que scénique, de Alexandre Blin.







    Marc Drouhin
    campe, quant à lui, un père dépassé, un veuf amoureux trop timide et un homme d'affaires trop occupé, le tout avec une solide présence et une belle voix de baryton.
    Reste l'admirable présence de la jeune et jolie soprano Julia Imbach qui danse et chante à ravir, sait être drôle souvent et émouvante quand il le faut. Elle part, dès la rentrée, à Londres où elle a été admise dans une grande école du genre où elle va parfaire tout le potentiel déjà bien affirmé qu'il nous a été donné d'apprécier.
  2. Marc Drouhin et Julia Imbach

  3. C'est Casse-Noisette que Martine Cot a choisi de chorégraphier cette année pour le toujours très talentueux spectacle du cours de danse qu'elle anime avec métier (plusieurs de ses petites élèves ont intégré la très renommée et difficile Ecole de Danse de l'Opéra de Paris), rigueur, gentillesse et modestie.

    Des plus petits bouts de chou aux pas hésitants et à l'équilibre incertain mais si touchants dans leur désir de bien faire, jusqu'aux ballerines affirmées qui nous proposent une très virtuose interprétation d'une remarquable qualité, tout fut parfait.



    Pari gagné encore cette année où cet après-midi a vu défiler les deux cent quarante enfants, ados et adultes, offrant un spectacle d'un niveau toujours maintenu au plus haut par le travail de Martine Cot.
  4. Les "Notes du traducteur" vont terriblement me manquer sur France Musique. Tout au long de ses émissions, moi qui ne suis qu'une piètre solfégiste dotée d'une oreille tout ce qu'il y a de plus moyen, Philippe Cassard a décortiqué pour moi la musique de Mozart, Schumann, Beethoven, Schubert, Franck, Debussy... et beaucoup d'autres.
    Il a su mettre en exergue ce que mes oreilles ordinaires ne sont pas capables de discerner elles-mêmes. Il m'a fait entendre les harmonies cachées, le travail de la main gauche, le lyrisme de la main droite... Toute l'essence même des morceaux ainsi épluchés fut révélée à mon coeur et je ne les écoute plus tout à fait de la même oreille.
    Philippe Cassard
    Mais Philippe Cassard nous l'a dit, cette "Der des Der" n'est qu'un au-revoir puisque dès la rentrée, il nous délivrera, dans une toute nouvelle émission, d'autres notes qui, n'en doutons pas, seront tout aussi instructives et plaisantes.
  5. Adriana Lecouvreur, l'opéra de Cilea, s'inspire pour son livret d'une pièce de Eugène Scribe et Ernest Legouvé dans laquelle se sont illustrées rien moins que Sarah Bernhardt et Rachel.
    La pièce, elle, repose sur un fait-divers réel : la mort subite à 38 ans (en 1730) de la célèbre actrice de la Comédie Française, Adrienne Lecouvreur, qui révolutionna l'art de la déclamation en le rendant plus simple et plus clair, probablement assassinée par sa rivale jalouse, la princesse de Bouillon dont le Comte Maurice de Saxe était l'amant et qui la trahissait allègrement avec La Lecouvreur...
    L'opéra de Cilea, dramatiquement touffu et musicalement capiteux et enflammé, réserve quelques pages tout en douceur comme le prélude du IV. Sous la baguette attentive d'un Daniel Oren que je n'attendais pas dans ce registre retenu, l'orchestre de l'ONP, toujours excellent, émaille la partition de sonorités brillantes et de pianissimi inspirés. A noter le dernier souffle de l'héroïne confié à la harpe céleste de Emmanuel Ceysson qui, dès la rentrée prochaine enchantera la fosse du MET à New York.
    Cette production déjà présentée à Londres, Vienne et Barcelone, situe l'intrigue dans son époque (le XVIIIème siècle), dans son contexte (le théâtre), sans nous embarquer dans une quelconque parallèle ni aucune élucubration douteuse. Si l'on peut reprocher à David McVicar l'absence de direction d'acteur dont vont souffrir surtout Marcelo Alvarez et Luciana d'Intino, on ne peut que louer sa mise en scène qui s'articule fort justement autour des tréteaux de la scène, du théâtre dans le théâtre.

    Grâce aux décors de Charles Edwards et aux magnifiques costumes de Brigitte Reiffenstuel qu'éclaire fort agréablement Adam Sylverman, on est plongé dans l'univers de Watteau. C'est délicieux, d'un grand esthétisme qui nous facilite la compréhension d'un livret passablement encombré de quiproquos et de confusions en tous genres.
    Je rends hommage à un plateau très homogène et d'une belle qualité globale. Des rôles secondaires d'une fort belle tenue : Alexandre Duhamel et Carlo Bosi en Quinault et PoissonWojtek Smilek honorable en Prince de Bouillon et Raùl Gimenez en Abbé de Chazeuil libertin à souhait.
    Alessandro Corbelli et Angela Gheorghiu



    Alessandro Corbelli
     incarne - à proprement parler - le régisseur Michonnet également épris d'Adrienne, avec une justesse de sentiments qui le rend particulièrement attachant et très émouvant.



    Luciana d'Intino


    La mezzo-soprano Luciana d'Intino est impressionnante de vaillance et de puissance. Elle ne chante pas dans la dentelle et campe une princesse de Bouillon antipathique à souhait mais dont j'aurais apprécié un peu plus de subtilité à la fois vocale et scénique.






    Marcelo Alvarez et Angela Gheorghiu


    Le ténor argentin Marcelo Alvarez, lui, n'incarne pas le moins du monde le beau Maurice de Saxe que ses deux maîtresses se disputent. Mais il était dans une forme vocale éblouissante, comme je l'ai rarement entendu.



    La - toujours - très belle Angela Gheorghiu livre une performance mitigée de ce rôle, écrasant il est vrai. Au premier acte, un peu perdue sur le grand plateau de Bastille, elle peine à passer dans le grand vaisseau de cette salle. Dans la seconde partie, malgré les insuffisances d'une voix qui n'a plus vingt ans, la soprano parvient à hisser son talent vocal et scénique. Bien sûr, outre ses airs d'un grand lyrisme dramatique, cet opéra demande à l'interprète d'un rôle de comédienne, de dire deux textes. Or, tout le monde le sait, les cantatrices ne sont pas des déclamatrices... Gheorghiu pas plus que les autres. L'extrait de "Phèdre" clamé au troisième acte est bien pâle et nous donne à entendre toute la lourdeur emphatique dont La Lecouvreur avait, justement, su dépouiller la diction des vers classiques.
  6. Angela Gheorghiu
    Mais bon. Si on veut de la déclamation, on va à la Comédie Française et non à l'opéra où le sentiment se chante. Et Angela a su chanter la mort d'Adriana avec uen riche intensité tout en restant légère.
    5. On attendait Kaufmann et on a eu un GRAND Don José. On attendait moins Kate Aldrich et on a eu une très belle Carmen. On n'attendait rien de Kyle Ketelsen et son Escamillo fut Olé ! On attendait Inva Mula et on a eu une touchante Micaëla.
    Certains attendaient une espagnolade, on a eu la Carmen de Mérimée...
    Il est de bon ton de dénigrer les productions des Chorégies d'Orange. Je serai dans le mauvais ton, n'en déplaise aux grognons.

J'ai apprécié cette production sans paillettes, sans robes volantées trop vivement colorées, sans flamencos endiablés rythmés par les castagnettes, sans folklore tapageur. J'y ai retrouvé l'atmosphère sombre et sobre de la nouvelle de Prosper Mérimée dans laquelle le destin (les cartes) juxtapose deux tempéraments que tout oppose. Chacun d'eux aura mal à sa manière et aucun ne démérite de n'être que ce qu'il est. Tous deux seront jusqu'au-boutistes : Carmen dans sa volonté de rester libre, Don José aveuglé par son amour jaloux.

Samedi soir, les deux chanteurs ont donné le meilleur. Kate Aldrich dont la plastique et l'oeil de braise n'ont eu d'égal que le velouté de sa voix, a pleinement chanté avec vaillance et nuances aussi, le rôle écrasant de la cigarière.
Quant à Jonas Kaufmann, on serait tenté d'utiliser tous les superlatifs pour encenser sa prestation : le volume, l'ampleur, la couleur, les nuances (Ah ! ses pianissimi... !), la ligne de chant... C'est magnifique. Quant à l'incarnation, aidé en cela par cette production resserrée sur l'essentiel, elle lui permet de nous restituer un Don José, certes perdant, mais qui conserve une parcelle de dignité dans sa défaite.


Un mot encore sur la direction au cordeau de Mikko Franck qui ne cède, elle non plus, rien au folklore.

A voir et à revoir encore sur Culturebox pendant plusieurs mois. Régalez-vous !



vendredi 3 juillet 2015

Dominique Jameux




Dominique Jameux
 La voix, si reconnaissable, de Dominique Jameux avait quitté les ondes de France Musique déjà depuis quelques années. Mais ses livres - et en particulier son "Chopin" nous restent, fort heureusement. Réécouter l'émission "Le Magazine" où Lionel Esparza l'avait invité à l'occasion de sa sortie.

Pour ce qui me concerne, j'ai encore dans l'oreille ses précieuses explications dans son émission "Le fauteuil de Monsieur Dimanche", où il a disséqué pour mes oreilles incultes une grande partie de l’œuvre de Wagner, juste à l'époque où je commençais à m'y intéresser furieusement.

A une époque où les budgets obligent (!) les directeurs de la Grande Maison Ronde à remercier des producteurs "trop chers" en leur proposant d'inacceptables émissions mais laissent et même incrustent de piètres présentateurs tout juste capables d'annoncer et désannoncer de très courts extraits cisaillés dans les œuvres, pour ne pas fatiguer leur auditoire, je regrette d'autant plus la disparition de ces producteurs qui savaient nous parler de musique avec intelligence et, surtout, passion !

Que le Royaume de la Musique l'accueille et qu'il y retrouve tous ceux dont il a su si bien parler et sur lesquels il a si bien écrit.