dimanche 22 novembre 2015

Paris, L'Elisir d'Amore et Lulu depuis New York

Nous fêterons, avec "Au Choeur des Voix", le printemps et Paris les 19 et 20 mars prochains à Bourron-Marlotte. Ceci n'est pas une pub. Il y a longtemps déjà que notre Chère Alix a choisi Paris comme thème pour notre spectacle. Nous ne pensions pas qu'une violente actualité viendrait s'inviter au moment où nous commençons nos répétitions.

Cependant, après les larmes du triste réveil qui fut le nôtre le samedi 14, c'est avec beaucoup de volonté résistante que nous avons travaillé nos airs (Donde lieta usci..., Ô Paris, gai séjour... et autres mélodies légères) et déchiffré, dès le dimanche après-midi, le choeur d'entrée de La Vie Parisienne.

Une manière d'affirmer notre attachement à Paris, magnifique ville lumière, ville de fêtes, ville d'ambiances et de plaisirs mais, aussi, ville de solidarité, ville de résistance et d'accueil, ville d'insurrection et de mobilisation qui ne s'en laissera jamais conter par quelque organisation terroriste que ce soit ni par quelque dictature religio-politique que ce soit.

Alors, amis parisiens, ne vous laissez pas gagner par la peur. Sortez ! Allez boire un verre aux terrasses des cafés, rendez-vous au théâtre, au ciné, à l'opéra, dans les music'hall et les musées... Vous avez la chance d'avoir à portée de vos yeux et de vos oreilles le meilleur de la culture et du divertissement. Alors, profitez-en !!!

Nos instances gouvernementales ont déclaré la guerre à Daech. Très bien. Menons notre guerre contre l'intolérance et l'obscurantisme, la violence abêtissante et stérile et les croyances d'un autre âge. Défendons, au jour le jour, les fondements de notre culture et ce bien si précieux : NOTRE LIBERTÉ !



Je résistai donc, mercredi soir, dans la salle de l'Opéra Bastille. Et je constatai, avec bonheur, que nous étions fort nombreux à nous rebeller, la salle étant pleine. Il faut dire que l'affiche très séduisante nous conviait à assister à cette reprise de "L'Elisir d'Amore" de Gaetano Donizetti dans la mise en scène de Laurent Pelly avec le couple lyrique nouvellement marié : Roberto et Aleksandra.
Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna

Premier jour de reprise après le drame du week end, Stéphane Lissner prononça quelques mots et fit observer une minute de silence qui en fut une véritable et très impressionnante. Après quoi, orchestre, choeur et solistes entonnèrent La Marseillaise.
A. Kurzak, R. Alagna, Mario Cassi, Ambrogio Maestri

Et puis, place à la musique ! Celle, enthousiasmante, de Donizetti. Dans la mise en scène pétillante et colorée de Pelly, les deux tourtereaux ont su être fringants, légers et primesautiers. 

Joli timbre d'Aleksandra Kurzak qui prête son joli minois à Adina. Voix pas très volumineuse mais bien projetée aux aigus parfois difficiles.

Le Belcore est servi par Mario Cassi avec un beau timbre de baryton mais qui manque un peu d'assurance. 

Ambrogio Maestri est un Dottor Dulcamara vocalement parfait et scéniquement truculent à souhaits.
Ambrogio Maestri et Roberto Alagna

Bonne prestation de Mélissa Petit dans le rôle, court mais important, de Giannetta.

Quant à notre Roberto, il est superbe ! Bien dans sa tête, heureux dans sa vie, lumineux dans sa voix. Sautant, bondissant, alerte et vif comme un jeune homme, il se joue des difficultés et semble s'amuser beaucoup. Il chante le très bel air "Una furtiva lacrima" avec un legato et un phrasé incomparables. Il remplace la légèreté lumineuse de ses débuts par une coloration plus charnue et plus ample de son timbre qui alourdit à peine la mélodie en lui donnant une nouvelle consistance plus opulente. C'était très beau et le public ne s'y est pas trompé qui lui fit une ovation.

Choeur et orchestre impeccables, direction honnête.


Dans les retransmissions du MET de cette saison, nous avons eu droit hier soir à la nouvelle production de Lulu d'Alban Berg.

Oeuvre sombre et difficile que cet opéra créé en 1937 en Suisse. Ce fut une grande soirée d'opéra à laquelle ont assisté les spectateurs courageux de l'Ermitage à Fontainebleau, dans une très créative mise en scène de William Kentridge qui évolue sur fond de multiples dessins qui se créent en vidéo sous nos yeux, les chanteurs en costume années 30 colorés (vert pomme...) évoluent dans des décors Art Déco à la fois minimalistes et grandioses (table, chaise, canapé, échelle, escalier...), l'ensemble restant d'un grand esthétisme ; j'en retiendrai la formidable direction d'acteurs de tous les chanteurs, expressifs, concernés, convaincants.

La direction musicale est confiée à Lothar Koenigs et je n'oserais rien en dire sinon qu'elle m'a semblée très bonne.

Pour la ditribution, en revanche, j'ose me prononcer. Tous les rôles furent parfaitement chantés : Franz Grundheber, Johan Reuter, Paul Groves, Daniel Brenna, Susan Graham ont donné le meilleur d'eux-même dans cette difficile partition.
Quant à Marlis Petersen, elle est une Lulu absolument magnifique, tant vocalement que scéniquement. Belle, sensuelle, attachante et crispante tout à la fois, elle chante, à moitié nue tout au long de la représentation, ce rôle si lourd et si tendu, sans une faille. Un grand BRAVO ! et merci au MET pour cette retransmission.

mardi 3 novembre 2015

Moses und Aron de Arnold Schoenberg - De l'indiscible en noir et blanc

Opéra Bastille - 26 octobre 2015

Arnold Schoenberg (1874 - 1951) compose en deux années (1931-1932) les deux actes de son oeuvre inachevée, après l'avoir longuement mûrie, depuis 1925 pense-t-on.

Il écrit le troisième acte mais n'en composera jamais la partition bien qu'il ait affirmé, à plusieurs reprises, pouvoir le faire en quelques mois.

L'oeuvre est donc le plus souvent donnée en deux actes et s'achève aux "Tables de la Loi", comme la production actuelle de l'Opéra de Paris. Il arrive que certains théâtres restituent le troisième acte déclamé, comme l'a suggéré Schoenberg lui-même peu avant sa mort.

C'est ce que m'a appris le Kobbé, seule ressource consultée avant de m'asseoir dans mon inconfortable fauteuil de Bastille ce soir-là. Vierge de toute influence concernant cette production et dotée d'un très mince bagage sur l'oeuvre, je m'attendais à un spectacle total mais difficile. Ce fut total et difficile, musicalement, fort et souvent enthousiasmant, scéniquement globalement d'un grand esthétisme.

Mon attention a, bien sûr, subi maintes déperditions : musicales d'abord malgré la beauté, la clarté et l'immense talent des Choeurs et de l'Orchestre de l'Opéra de Paris sous l'admirable direction de Philippe Jordan. Grâce à lui, certainement, je suis parvenue à entendre ces sonorités incroyablement diversifiées, ces rythmes fractionnés, fragmentés ou rompus. J'ai pu apprécier l'énorme travail du Choeur dont les parties multiples se mélangent, chant et déclamation, chuchotements perceptibles par mes oreilles inaccoutumées. Merci à tous pour cet art abouti.

Sans présumer de ce que Patrice Chéreau, à qui Stéphane Lissner (actuel Directeur de l'Opéra de Paris) avait initialement confié la mise en scène, aurait conçu ce spectacle, je crois qu'on peut penser qu'il y aurait gagné en humanité et en direction d'acteurs.

C'est en effet - et à mon humble avis - ce qui manque à la mise en scène de Romeo Castellucci. Cependant, je lui reconnais un grand sens de l'esthétisme, surtout dans la première partie où, après la scène du Buisson Ardent (simple anneau lumineux rougeoyant) et l'accord d'Aaron pour être le porte-parole de son frère, le Peuble Elu, enveloppé de tulle blanc, se meut dans un épais brouillard laiteux où les visages et les mains sont comme "floutés". Pour le spectateur, l'effet est le même que lorsqu'on conduit, la nuit, sur une route qui se perd dans le brouillard et que la visibilité humide se borne à la longueur restreinte de la lumière floue des phares.

Belle idée les mots incohérents projetés à toute volée et qu'Aaron ne parvient pas à rendre compréhensibles pour le Peuble. Mais la projection en est trop longue et capte l'attention malgré soi, au détriment de l'écoute.

Le second acte voit le passage du blanc au noir, du bien au mal dans la scène du Veau d'Or. Ce dernier est très avantageusement représenté par un plantureux et affable taureau au poil frisé et court sur pattes, sans doute habitué des concours du Salon de l'Agriculture car d'une placidité à toute épreuve, même à celle de l'arrosage du liquide noir sur son pelage clair...

Personne sur scène n'échappe au liquide visqueux et sombre, le Peuble entier se roulant dans ce symbole représentant tout à la fois la luxure, l'orgie et l'obsession suicidaire.





Là encore, au bout d'un certain temps, les aspersions et les baignades noires lassent et dispersent l'attention.Heureusement, la chorégraphie très appropriée de Cindy Van Acker souligne d'une manière plus élégante la chute collective dans la débauche.




Lorsque Moïse revient du Mont Sinaï, les mots des Tables de la Loi s'impriment au sol, l'encre noire s'est logée dans les aspérités des lettres qui apparaissent lorsque le sol est nettoyé de cette fange.

Tous les rôles, très épisodiques, sont parfaitement chantés par des membres du Choeur.



John Graham-Hall, ténor au timbre lumineux, campe un Aron très solaire. Sa vaillance est altérée par un vibrato sérieux dans le médium mais les aigus sont éclatants.







Le Moses de Thomas Johannes Mayer m'a paru, quant à lui, tout à fait irréprochable. Beau timbre de
baryton-basse, ample et bien projeté.


A tous les deux je dis toute mon admiration pour l'interprétation de ces deux rôles si ardus musicalement et vocalement.

J'ai donc découvert avec un grand contentement cet opéra dodécaphonique du XXème siècle. Il est probable que j'irai le voir de nouveau car, bien entendu, beaucoup de subtilités m'ont échappées. Néanmoins, le jour n'est pas encore venu où je l'écouterai dans mon salon...